5e édition des Rencontres internationales de la photographie en Gaspésie – Serge Allaire

[Printemps-été 2015]

5e édition des Rencontres internationales de la photographie en Gaspésie
De la mi-juillet à la mi-septembre 2014

Par Serge Allaire

Distribuées dans treize municipalités du territoire gaspésien, les expositions présentées dans le cadre de cette cinquième édition des Rencontres occupent vingt et un lieux intérieurs ou extérieurs, un défi logistique en matière de commissariat. Plus de 800 km de routes : c’est dire à quel point l’évènement constitue tout autant un rendez-vous avec la photographie qu’avec le territoire et le paysage gaspésiens. Intégrées à différents lieux particuliers – parcs, bâtiments historiques, centre d’artistes, musée –, les expositions deviennent en effet une manière unique et originale de découvrir les tendances les plus récentes de la photographie en même temps qu’un coin du pays.

Rappelons d’ailleurs que cette manifestation photographique est née en 2009 sous l’appellation Parcours du point de vue. Inspiré par un projet de l’artiste suisse Jean-Daniel Berclaz 1, Claude Goulet, directeur et fondateur des Rencontres, invita cinq photographes à parcourir le territoire gaspésien, à proposer sur lui des points de vue inédits et, grâce à diverses activités de médiation, à nouer des liens avec la population et à susciter l’intérêt du public pour la photographie. Vu le succès de cette initiative, tant auprès du public que de ses partenaires institutionnels et politiques, l’évènement reviendra l’année suivante sous la forme qu’on lui connaît aujourd’hui.

Sous le thème « Visible. Invisible », cette cinquième édition des Rencontres offre une programmation diversifiée, tant par la nature des œuvres présentées, issues de pratiques associées à la photographie documentaire, au photomontage, à la vidéo ou à l’installation, que par les enjeux qu’elles soulèvent. Fidèles aux objectifs premiers du Parcours du point de vue, plusieurs expositions dans la présente édition sont consacrées à l’interprétation du territoire gaspésien. Ainsi, le collectif de photographes KAHEM (Christian Lamontagne, Nicolas Lévesque, Yoanis Menge et Charles-Frédérick Ouellet) a profité d’une résidence de création effectuée au printemps 2014 pour revisiter les paysages de la route 132, qui cerne le territoire gaspésien, et pour proposer une vision s’éloignant du pittoresque habituel des cartes postales.

Dans le cadre d’une autre résidence, le duo Patrick Dionne et Miki Gingras a scruté l’histoire de l’île Bonaventure, désormais transformée en parc national, à partir de témoignages d’anciens résidents. Interprétant ceux-ci, les artistes ont recréé les gestes et les habitudes du quotidien insulaire, sous la forme d’une installation disséminée dans le paysage de l’île et visible depuis une lunette d’approche installée sur la rive de Percé. Des paysages de l’hiver gaspésien de Linda Rutenberg étaient également présentés au Musée de la Gaspésie, à Gaspé, alors qu’Estelle Marcoux exposait, à Gesgapegiag, un projet portant sur cette communauté micmaque. Enfin, Laurent Villeret et Flora, deux photographes français, montraient, respectivement à Marsoui et à Carleton, le résultat de résidences effectuées précédemment en Gaspésie.

Plutôt que de représenter le territoire gaspésien, certains projets illustraient la situation marginale de différentes réalités sociales ou territoriales. La série Micronations de Léo Delafontaine s’intéressait aux petits états structurés, en marge des grands états officiels, autour d’intérêts divers, qu’ils soient financiers, artistiques ou folkloriques. Dans la tradition du documentaire social, Kitra Cahana a porté son attention, dans la série Nomad, sur de jeunes gens assumant ayant choisi le nomadisme comme mode de vie. Sur les traces de Robert J. Flaherty, Donald Weber s’est rendu au Nunavut pour y réaliser Quniqjuk, Qunbuk, Quabaa, un ensemble de portraits d’Inuits dont le visage est éclairé par la seule lumière d’écrans de téléphones cellulaires ou d’autres appareils numériques.

D’autres séries puisaient plutôt dans le registre de la mise en scène. À la manière d’un conte, Evgenia Arbugaeva a reconstruit, sous forme de tableaux faisant alterner portraits et paysages, certains souvenirs de son enfance dans la ville sibérienne de Tiksi, qui a fourni son titre au projet. La série Fallen Princesses de Dina Goldstein illustrait certains lieux communs véhiculés par les contes de fées. Entre sculpture, installation, théâtre et littérature, la photographie de Rina Vukobratovic, dans The Girl Who Sees the Verses, montrait des mises en scène inspirées par des haïkus écrits par l’artiste durant son enfance. L’exposition Changer le monde de Gilbert Garcin présentait, quant à elle, des photomontages où l’artiste place son propre personnage dans des situations à la fois absurdes et humoristiques, et proposait une réflexion philosophique sur l’existence.

Sur un mode plus éthéré, le travail d’Helen Sear superposait portraits, paysages et interventions graphiques, créant des espaces ambigus évoquant le souvenir d’expériences lointaines de la nature. Sous la forme du journal photographique, le projet Le capteur de Bertrand Carrière mettait en récit des triptyques d’images tirées de l’expérience privée du quotidien du photographe. À Bonaventure, on pouvait découvrir Bonjour Compostelle, projet réalisé par Jean-François Bérubé lors d’une résidence effectuée en 2013 aux Promenades photographiques de Vendôme, en France. Du côté de Percé, les Rencontres présentaient Regards sur la Collection Loto-Québec, un choix de trente-cinq photographies provenant de la collection de la société d’État et célébrant autant d’années de création photographique québécoise.

Hors des sentiers battus de la photographie, des installations et des projections vidéo complétaient la programmation. Aux projets Vies possibles et imaginaires de Rozenn Quéré et Yasmine Eid-Sabbagh, Diapositive volatile et autres troubles de Maryse Goudreau et Mirages d’Isabelle Hayeur s’ajoutait une installation de photo-grammes de Michael Flomen.

Un des temps forts de l’évènement, La tournée des photographes, réunissait pendant une semaine du mois d’août les artistes qui exposaient ainsi que différents intervenants issus du milieu de la photographie pour proposer un tour des expositions, ponctué de tables rondes et de rencontres-causeries avec le public. Cette année, les tables rondes ont été l’occasion d’aborder deux thèmes sensibles de la réalité photographique, soit, d’une part, le marché de la photographie et l’état des collections de photographies au Québec et, d’autre part, l’importance et le statut du livre comme forme d’expression et de diffusion privilégiée pour la photographie. Dans un cas comme dans l’autre, les intervenants ont souligné les nombreuses difficultés que rencontrent photographes et collectionneurs d’ici quant au développement d’un marché québécois des tirages et de l’édition photographiques.

Si l’évènement a pour but de créer une relation privilégiée, une interaction entre le territoire gaspésien, les photographes et les œuvres, son ambition est plus vaste. Depuis maintenant cinq ans, Claude Goulet nourrit le projet de faire des Rencontres une référence sur la scène internationale et de positionner l’évènement parmi les chefs de file du développement culturel en photographie en inscrivant ces dernières dans un vaste réseau d’échanges réunissant, entre autres, les festivals européens et américains qui partagent les mêmes visées. Au cours des années qui viennent, Goulet entend élargir ce réseau, déjà bien établi en France, par des coopérations avec la Belgique et l’Allemagne. Avec une équipe réduite, un budget somme toute modeste eu égard à l’ampleur des aspirations qui l’animent, Claude Goulet est en train de relever avec brio le défi qu’il s’est lancé : aménager un territoire pour la photographie ou, comme il aime lui-même le dire, « habiter le territoire ».

1 Le projet Musée du Point de Vue de Jean-Daniel Berclaz a notamment été présenté à Arles en 2003, lors des Rencontres de la photographie.

 
Serge Allaire est titulaire d’une maîtrise en études des arts de l’Université du Québec à Montréal, où il enseigne l’histoire de l’art et l’histoire de la photographie. Ses publications à titre de commissaire d’exposition et de chercheur sont consacrées à la photographie, aux problématiques de l’art et de la culture de masse et à l’analyse des discours.

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