Alain Declercq, Embedded versus Wildcat – Sylvain Campeau

[Automne 2007]

Centre Vox, Montréal
du 9 septembre au 21 octobre 2006

Ce travail récent d’Alain Declercq a causé bien des déboires à son créateur. Disons d’abord qu’il montre clairement le climat de paranoïa et de suspicion qui règne encore sur le monde occidental depuis le 11 septembre 2001. Car l’artiste a créé une fiction qui s’alimente aux sources mêmes de l’événement. Et il l’a si bien fait d’ailleurs que cela lui a valu une visite des brigades criminelles et anti-terroristes françaises, cinq heures d’un interrogatoire serré en plus d’un cambriolage fort louche où disparurent son ordinateur portable, une caméra numérique et autres babioles bien utiles à qui fait dans le renseignement.

Or c’est en spectateurs prévenus que nous arrivons dans la galerie, pour voir ce qu’il en est de ce travail, informés des déconvenues de l’artiste et, donc, de la portée et de la teneur de son travail. Avoir eu ainsi vent du contenu nous incite donc, dès l’entrée de la salle d’exposition, à chercher immédiatement les documents et pièces justificatives qui ont mis la puce à l’oreille d’enquêteurs chevronnés et qui les ont même amenés à se demander si se dire « artiste » ne représenterait pas la couverture parfaite pour un terroriste. Bref, nous désirons immédiatement en venir au contenu de cette exposition.

Ce qui se présente à nous provoque dès lors une certaine déception. Là où nous cherchons des exhibits, des pièces à conviction, nous ne trouvons qu’une grande table austère, du style conseil d’administration. Des sièges au cuir capiteux l’entourent. C’est sur un de ces meubles qu’il faut nous asseoir pour faire face à l’écran grâce auquel nous assisterons enfin au déroulement du document si incriminant.

L’affaire nous est alors présentée en sections diverses qui sont autant de dossiers. On est d’emblée avisé que cet ensemble provient de la fréquentation de l’artiste avec un certain Mike dont tout porte à croire qu’il est un agent de renseignement. Et, en effet, les bandes sont des documents tirés d’investigations tronquées, incomplètes, qui s’alimentent à même les attentats du 11 septembre. Mais il est remarquable que rien ne soit, du moins presque jamais, ostensiblement divulgué. Rien n’est univoque. Bien sûr, il suffit de quelques hommes, réunis devant une ambassade en pays arabe pour que naisse un climat de suspicion. Un quidam penché sur une automobile, dans un tel quartier, devient immédiatement objet d’enquête, même s’il lace son soulier. De même, il suffit de quelques prises dans le désert, à proximité de ce qui semble un campement, d’une voix étouffée qui dise de faire vite, pour que l’imagination s’affole. Il est aussi hilarant de suivre la circulation à Washington, en voiture, et d’entendre quelqu’un clamer « Abort » devant une auto de police aux feux allumés interpellant un automobiliste.

Tout, dans un tel climat, devient suspect. Et ce climat, l’artiste le nourrit à coups de prises de vue du Pentagone, de celles d’un homme mystérieux laissant une mallette dans les toilettes d’un restaurant. Jusqu’au dénouement : l’ouverture de cette mallette, où l’on devine l’habituel lot de devises de pays différents, les passeports aux diverses identités, le billet d’avion d’Air Canada (tiens, tiens!). Jusqu’à cette scène aussi où l’on croit voir un homme abattu en pleine rue, sans qu’on ait entendu de coup de feu.

Le retentissement de cette entreprise dans les médias a été tel qu’il gâche un peu l’effet de l’installation qui devait susciter un sentiment de suspense ou d’attente qui tombe ici à plat. Tout de même, cette installation n’est-elle pas une sorte d’apparat, d’écrin peu utile devant la force des images vidéo?

Dans une deuxième salle, Alain Declerq reprend l’initiative en nous proposant, sous présentoir vitré, des coupures de presse documentant ses déconvenues. Il ajoute, au mur, de grandes images photographiques représentant un futur reportage sur des vétérans de la guerre d’Irak, évoqués vingt ans plus tard en clochards, oubliés de l’Américain moyen, victimes d’une difficile sinon impossible réinsertion dans la vie civile et, on l’imagine, du choc post-traumatique consécutif à la guerre. Puis, dans un coin, par terre, un moniteur vidéo présente le témoignage d’un officier français, au passé trouble, mais expert en armes et balistique, le commandant Pierre Henri Bruel, dont un extrait des conjectures avait été montré dans la première salle. Celui-ci se livre à des suppositions fort troublantes sur la possibilité que ce soit un missile, sans doute lancé par des membres des forces armées américaines, qui ait percuté le Pentagone et que l’avion du vol United 93 ait en fait été abattu par l’aviation américaine. Son exposé est truffé de détails et de faits suffisamment louches pour que nous en sortions presque convaincus.

La démarche d’Alain Declercq, tressée d’éléments équivoques et disparates, montre bien comment un certain abus d’informations incertaines et incomplètes, enfilées à la suite des unes des autres, peut créer une impression d’évidence absolue. Tout l’art de Declercq réside dans le fait qu’il ait réussi à nous maintenir dans une forme d’indécidabilité. Nous ne savons plus, par moments, si nous sommes devant une vérité affirmée ou un canular étudié.