L’analogique et l’abstrait

Chacune à leur façon, les œuvres de ce dossier parlent de photographie et d’images analogiques en les transposant dans d’autres moyens d’expression artistique (simulation numérique, film, vidéo, sculpture, peinture). L’empreinte de la lumière se retrouve ainsi matérialisée dans des formes abstraites et épurées qui multiplient les registres de référentialité des images tout en relativisant le lien privilégié de la photographie au réel. De fait, c’est la notion même de réalité qui se voit ainsi complexifiée par la prise en compte de la matérialité de ses représentations.

Les grandes images de Thomas Ruff, réalisées avec des logiciels d’imagerie numérique en 3D, se présentent comme une réactualisation des photogrammes abstraits développés par les avant-gardes des années 1920. Objets, lumière, émulsions sont traduits en données binaires permettant la production de nouvelles images, abstraites, colorées et de très grand format, qui repoussent les limites du genre, tout en abolissant radicalement ses présupposés. Ces abstractions ne relèvent plus du décalque d’un objet sur une surface sensible exposée à la lumière, mais renvoient à un type d’image qui fait partie de notre histoire culturelle.

Les œuvres de la double exposition estivale de Dazibao rivalisent d’ambiguïté perceptuelle : on ne sait plus très bien ce que l’on regarde, ni ce qu’il faut voir, si ce n’est l’image en train de se faire… Les images animées de Lorna Bauer et Jon Knowles mettent ainsi en relief les conditions minimales de perception de l’objet et d’apparition de la forme à partir de l’obscurité et de la matière. De son côté, Jacinthe Lessard-L. présente, sous la forme d’une installation vidéo et de sculptures, des images et des formes énigmatiques, difficilement déchiffrables, qui placent la boîte noire de l’appareil photographique au cœur de l’image. Ce qui est ici représenté, ce sont les processus mêmes de la perception et de la représentation.

Les photographies d’Henri Venne prennent pour objet la peinture : une peinture abstraite dont les surfaces glacées sont comme des plaques sensibles qui captent les reflets d’un paysage approximatif que la photographie vient ensuite fixer. Ses images montrent la matérialité de la peinture et en magnifient les effets, en se substituant littéralement à elle. La peinture abstraite, qui se voulait fondée sur une mise à distance radicale du réel, une non-représentation, se voit maintenant reconvoquée comme objet de la représentation, inscrit dans les multiples strates d’images qui composent une réalité devenue aussi prégnante que celle de notre environnement naturel.

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Sur une autre note, nous sommes heureux d’annoncer qu’Alexis Desgagnés s’est joint à l’équipe de la revue à titre de rédacteur adjoint. Jusqu’à tout récemment directeur artistique du centre VU à Québec, Alexis Desgagnés est un historien de l’art, spécialisé en photographie et titulaire d’un doctorat, ainsi qu’un artiste. Il collabore régulièrement à la revue depuis plusieurs années.

Jacques Doyon

 

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