Andrea Szilasi – Mona Hakim

[Printemps 1999]

Galerie Circa
Du 9 janvier au 13 février 1999

On reconnaît le travail d’Andréa Szilasi à sa façon de taillader le support photographique sur lequel se dérobent des corps fragmentés. De ses productions antérieures, on a encore en tête les parties d’anatomies enchâssées dans un réseau de lanières tramées, semblable à une peau rapiécée. Dans les récentes photographies présentées chez Circa, les bandelettes sont non plus croisées, mais côte à côte, esquissant par le biais de leur découpe matérielle, la silhouette d’un appareil photo, du moins dans trois des cinq très grands formats exposés. Et si auparavant le corps humain se privait d’arrière-plan, ici les personnages interviennent sur fond de paysage bucolique, attrayant à souhait.

De fait, une atmosphère vaguement romantique émerge des mystérieux sentiers boisés et des nappes d’eau limpides où vient se fondre l’individu. À bien observer, les sites sont les mêmes d’une photographie à l’autre, hormis, en vis-à-vis, une femme nue qui nous tourne le dos alors qu’un homme, à l’inverse, nous fait face. Nous voici au centre d’une trame narrative, postés entre un homme pourchassant la femme ! À moins que ce ne soit nous qui traquions le sujet capté. Étrange chassé-croisé, dont se fait écho l’effet de permutation entre la caméra et le corps nu qui se profile à travers les rainures de l’objet, un corps que l’œil tarde à percevoir.

Cette photographie fait donc en sorte d’exhiber ses rouages, prétextant les phénomènes d’apparition/disparition des images et les déviations perceptives qui lui sont inhérentes. Autrement dit, toute stratégie tant optique que tactile cherche ici à flouer la représentation illusoire. À cet effet, le procédé de collage et de découpe dans le support papier, non seulement met en relief une photographie manipulée, construite, mais brime cette propension au réel que possède l’image photographique ou analogique. Les entailles matérielles (plastiques) témoignent ainsi de la manière avec laquelle Szilasi fait entorse à la règle, comme si elle en démontrait les failles, nous interdisant du coup l’accès aux paysages idylliques.

L’idée d’évoquer le dispositif photographique en procédant par une découpe est en soi astucieuse. Était-il donc besoin de figurer l’appareil photo, qui, ici, n’apporte rien de plus à la saisie des images. Auparavant, les lanières engendraient le contenu même des œuvres créant des points de suture sur un fragment d’anatomie ou entre deux sujets antinomiques. Aujourd’hui, les bandelettes configurent un objet, somme toute accessoire, au sein d’une trame narrative déjà suffisamment symbolique.

On peut comprendre la volonté d’une transposition entre la caméra et le corps autobiographique entraînant une sorte de mise en abîme, voire une dissolution identitaire. Dissolution qui concernerait autant le corps que la représentation photographique en ce qu’elle participe d’une ruine ou d’une perte. Mais alors, quel serait ici le lien avec le paysage ? À ce titre, Figure in lake (dont le profil de la caméra est absent) apparaît la plus convaincante. Un personnage recroquevillé sous l’eau est couvert d’une forme sépulcrale suscitée par les bandes découpées. L’œuvre dégage de manière plus habile et plus synthétique cet écrasement formel et temporel de la photographie où le sujet capté, enfoui dans une mémoire trouble, semble prisonnier de son propre dispositif, se démenant entre le réel et le fictif.

L’approche autoréflexive a couvert un large pan de la photographie contemporaine. Son dépassement se fait toujours attendre. Figure nouvelle de cette dite approche, Andréa Szilasi, quant à elle, y  insuffle une part de sensibilité qui fait défaut à de nombreuses créations, simplement concernées par le photographique. Possédant une bonne dose d’étrangeté et un brin de mythologie, sa récente iconographie pouvait ainsi se passer d’un surplus d’informations concernant ses mécanismes d’émergence. Encore fallait-il que l’artiste fasse plus confiance au pouvoir de l’image et puisse éviter les pièges que semble lui avoir tendus sa propre grille plastique.