Benoît Aquin, Haïti chérie – Mona Hakim

[Été 1997]

Occurrence, centre d’art et d’essai contemporains

Invité par la galerie Occurrence à présenter le portfolio Haïti chérie, qui lui a valu le prix du Jury 1996 au concours Regard du Québec, Benoît Aquin, encore une fois, lève le voile sur la spécificité du peuple haïtien.

Accrochage et encadrement sobres, choix serré d’images, lien dialogique entre les œuvres font en sorte de préserver la part d’énigme et d’intimité que recèle un tel sujet. Très vite sommes-nous attirés par l’expressivité des visages et la singularité des situations.

L’attrait de Benoît Aquin pour la culture haïtienne, qui s’est manifesté pour la première fois il y a plusieurs années au moment d’une escale en Haïti, l’a incité par la suite à creuser plus en profondeur l’âme de ce peuple mystique, au sein même de la communauté haïtienne montréalaise. La poète haïtienne Eddlyn Desruisseau — qui deviendra sa compagne — a été complice de son insertion dans cet univers secret et dense. Sans elle, bon nombre des clichés n’auraient tout simplement pu être réalisés. Elle est d’ailleurs quasi omniprésente dans l’exposition, ponctuant le corpus photographique de poèmes de son cru ou servant tantôt de modèle au photographe (celui-ci a su capter finement toute la force de son aura), tantôt d’acolyte pour la participation à certains rituels sacrés.

Aquin nous amène ainsi au cœur de séances vaudou (certes les images les plus perturbantes de l’expo), dans les cours d’école et les classes de jeunes enfants, à la plage ou dans les fêtes de rue. Scènes quotidiennes et personnalités haïtiennes reconnues dans le milieu culturel québécois se côtoient comme pour valider l’ancrage de ces dernières sur leur nouvelle terre d’accueil. Sous cet angle, l’exposition se révèle à nous comme la porte d’entrée privilégiée d’un monde de prime abord hermétique.

Pour la réussite d’un tel projet, il importait de retransmettre, sans artifice, l’identité véritable de la communauté haïtienne et, de là, la place qu’elle occupe sur le territoire montréalais. Par sa vision de l’intérieur, par la connivence entre lui et son sujet, et en montrant clairement l’apport spirituel qui nourrit les Haïtiens, Aquin y parvient efficacement. Ajoutez à cela un appareil photo aventureux (cadrage irrégulier, contre-plongée, rapport de proximité prononcé), qui nous oblige à un regard pénétrant (fort pertinent dans un tel contexte) et enrichit la portée sociale de l’exposition. Aquin sonde depuis un bon moment déjà l’univers cabalistique haïtien. Il reste à découvrir, chez cet épris de culture marginale, de nouvelles sources d’inspiration.