C’est la vie – Mona Hakim

[Hiver 1998-1999]

Dans le cadre de la 1ère Biennale de Montréal
Du 27 août au 18 octobre 1998

Parmi les expositions tentaculaires couvrant la Biennale de Montréal et réunies autour du thème on ne peut plus vaste de La poésie, l’humour et le quotidien, on retiendra C’est la vie, comme étant celle s’étant le mieux défendue. L’exposition, qui regroupe des artistes internationaux de la vidéo et de la photo est une coproduction du Centre d’Art Contemporain de Bruxelles et du Centro de la Fotographia de la Universidad de Salamanca, avec Hilde Teerlinck à titre de commissaire.

Si cette exposition se démarque des autres, c’est qu’elle colle peut-être le mieux au thème générique sans que « la poésie, l’humour et le quotidien » n’y soit qu’une simple figure de style. Oublions toutefois le texte mou du catalogue – d’une bonne qualité graphique du reste – qui évite de réfléchir en profondeur sur le sujet, nous laissant encore une fois insatisfaits quant aux véritables enjeux de cette fameuse thématique sur la scène actuelle de l’art.

Selon la commissaire, les six artistes sélectionnés ont un goût commun pour la vie quotidienne, le hasard, l’inattendu et pour leur prise en compte d’une certaine banalisation des médiums photo et vidéo. Soit. On aurait tout de même aimé, dans le cadre d’une exposition à caractère international, un peu plus de précision sur le choix de ces artistes, alors que les projets préoccupés par le quotidien abondent. Quoiqu’il en soit, cette sélection, qui aurait pu ennuyer à cause de thèmes fort similaires chez certains artistes, arrive par ce même resserrement à créer un intérêt. De fait, si la moitié d’entre eux prend appuie sur la famille immédiate (les enfants sont très présents ici), les subtiles distinctions entre chacune des approches apportent curiosité et réflexion. De plus, la fusion d’artistes de la vidéo et de la photo, ou des deux à la fois, démontre sa pertinence.

Les photographies de famille de l’américaine Sally Mann (principalement de ses enfants) baignent sous une lumière vaporeuse qui module les clairs-obscurs et rend l’atmosphère quasi intemporelle. L’aspect plutôt romantique de ces photos noir et blanc tranche avec les divers degrés d’humour que recèle l’exposition. Certes cette photographe mise énormément sur la beauté des visages et des corps nus de ses modèles et sur une mise en scène très soignée. Or ce qui pourrait agacer d’une image trop léchée s’avère ici d’une grande sensualité et poétique. C’est que l’on repère très vite dans ces images d’intimité, la complicité entre l’artiste et ses modèles, le naturel et la franchise.

Juste en face, les quatre bandes vidéo du français Joël Bartoloméo abordent le thème de la famille de façon plus caustique. Avec ses scènes de la vie ordinaire, ses « anti-films de famille » selon ses termes, nous nous infiltrons dans la demeure familiale à l’heure des repas et pendant les moments creux de la journée où une fillette s’amuse à étourdir son chat. Animosité verbale et gestuelle se chevauchent évoquant les tensions qui s’immiscent entre les rapports de pouvoir et affectifs. Un autre médium que la caméra vidéo pouvait-il mieux traduire l’instantanéité de ces moments furtifs. Cependant durant les 56 minutes de projection que totalisent ces quatre bandes, l’attention finit par se dissiper.

Tout près, le suisse Stefan Banz s’inspire également de scènes courantes en captant sa fille Lena buvant son jus ou étêtant sa poupée dans la piscine. Dans ce dernier cas, trois grandes photos couleur se succèdent comme un plan filmique séquentiel. Par rapport aux moments plus « triés » de Bartoloméo, ceux choisis par Banz sont d’une telle banalité qu’ils apparaissent, curieusement, plus métaphysiques. Comme si l’on sentait une interrogation sous-jacente sur le sens donné à ce qui est de l’art et à ce qui n’en est pas. La question se pose également dans la façon paradoxale dont il fige l’ordinaire sur de grands formats couleur. Son vidéo portant sur un duel entre voisins possède incidemment ce même habituel dérangeant.

Chez les trois autres artistes, la mise en scène, dotée d’un brin d’humour, est plus affaire de manipulation. Haut perché, le vidéo Climbing around my room de la britannique Lucy Gunning ravit. Une fille en robe rouge joue à l’acrobate en rasant de long en large les meubles et les éléments d’architecture de la chambre de l’artiste. Avec un mouvement lent et une économie de moyens, les images nous gardent littéralement captifs alors que l’on s’accroche à l’action comme à un suspense. La position périlleuse de l’écran vidéo, celle critique entre corps et objet et l’humour fin de l’œuvre rendent celle-ci fort attachante. Avec The horse impressionnist, cette symbiose a un moindre impact.

Dans un mode plus poétique, le français Jochim Mogarra réanime les objets courants de consommation en les transposant dans le domaine de l’imaginaire. Ainsi construit-il des paysages à partir de pots de yaourt ou de vases en grès renversés (qui devient un Mont perdu). L’idée n’est pas nouvelle en soi. Or Mogarra déride l’intellect en utilisant la méthode du croquis ou « dessin photographique » et d’aphorismes tels que : « La faculté de confondre intelligence et décoration d’intérieur » transcrit sous le pot de fleur profilé au fusain. Ironique et sympathique.

Chez l’autrichien Erwin Wurm, les photographies couleur grand format de jumeaux dont l’obésité de l’un a été trafiquée artificiellement nous laissent quelque peu de glace. De même avec la série de photos plus réduites One minute sculpture où différents objets se confondent ou modifient le corps humain. Ainsi une valise sur le dos d’une femme au sol à plat ventre, ou des stylos enfoncés dans les narines ou les oreilles d’un inconnu. On a du mal à adhérer à cette succession d’exercices ludiques où l’on sent la chose trop appuyée. D’autant plus que Wurm en remet avec une œuvre vidéo qui reprend en mouvement chacun des exercices à la manière d’un mode d’emploi. Ouf!

C’est peut-être la position de voyeur à laquelle nous convient la plupart des artistes (sauf chez Mogarra et Wurm) qu’il faut retenir en premier lieu de cette exposition. Une position délicate, tantôt inconfortable, tantôt attrayante qui apporte une note déviante aux moult démonstrations de la vie au quotidien.