Crépuscule, tempête, engloutissement

[Printemps 2009]

par Jacques Doyon

Ce numéro rassemble des images témoignant des impacts de la modernisation accélérée de la Chine actuelle. Les photographes qui les ont réalisées ont à divers degrés une expérience professionnelle de la commande pour les médias, les entreprises ou les agences de publicité. Ils ont cependant su cultiver une vision personnelle et réaliser des séries photographiques fondées sur une observation attentive de leur environnement et des résultats de ses transformations. Les effets négatifs de ces changements sont majeurs : destruction rapide de l’architecture et des modes de vie de la ville ancienne; désertification accélérée des sols créant d’importantes tempêtes de sable; engloutissement de larges territoires entraînant un déplacement des populations.

La pertinence de ces observations est renforcée par la très grande unité esthétique de chacune de ces séries où la prédominance d’un élément naturel – lumière, sable et eau – a pour effet de condenser et de révéler le drame en cours. Ces séries d’images sont toutefois paradoxalement paisibles. Elles décrivent de grands bouleversements – déclin d’une époque, tempêtes de sable et engloutissements de villages – en captant des scènes dans une atmosphère de tous les jours, les gens poursuivant leurs activités comme si de rien n’était. Les étranges couleurs crépusculaires des images de Greg Girard traduisent la fin d’un monde : la ville ancienne survit de façon éparse entre les gravats et une modernité radieuse. Les photographies de Benoît Aquin montrent des paysages décolorés et obscurcis par des tempêtes de sable résultant d’une désertification systématique des sols. L’allégorie qu’offre Yang Yi d’une ville qui vit sous les eaux témoigne de belle façon d’un mode de vie condamné par les impératifs du développement.

Greg Girard est un photographe canadien qui vit en Chine depuis plus de 20 ans. Parallèlement à son travail de photographe pour les médias et les entreprises, il a cofondé une agence spécialisée dans la mise en images de la Chine contemporaine et a publié deux livres, City of Darkness, sur la « cité emmurée » de Kowloon à Hong-Kong, et Phantom Shanghai. Il expose ses photographies depuis 2003. Benoit Aquin œuvre dans le milieu des médias et expose ses travaux personnels depuis 1989. Ses nombreux reportages sur des sujets liés aux enjeux du développement lui ont valu plusieurs distinctions. Pour ses images sur le Dust Bowl chinois, Aquin vient de remporter le prestigieux prix Pictet pour le développement durable, octroyé pour la toute première fois cette année. Yang Yi est un artiste chinois qui vit à Chengdu. D’abord designer graphique, il a par la suite cofondé une agence de publicité, puis a étudié la photographie à l’Académie centrale des beaux-arts de Chine. Il expose depuis 2007.

Ce regard critique sur la Chine actuelle nécessite de souligner le formidable défi que représente le développement d’un pays de 1,3 milliard d’habitants. L’évolution de la Chine influence déjà fortement les différents systèmes mondiaux et ses effets ne pourront que s’accroître. Quand on compare cependant ces réalités à l’impact de la soudaine rentabilité de gisements bitumineux sur les valeurs et la tradition d’un pays de seulement 33 millions d’habitants, il faut tempérer ses jugements hâtifs, tout en demeurant vigilant.