L’espace du magazine

[Automne 2009]

par Jacques Doyon

Que disent les images d’un magazine ? Que révèlent la réitération de certains types d’images, leur formats, leurs positionnements et les ensembles qu’elles composent ?

La photographie occupe une place centrale dans la définition d’un magazine, bien souvent à égalité avec le texte. Plus qu’un simple espace de présentation, le magazine est un lieu d’énonciation pour l’image. Loin de s’en tenir à un rôle illustratif, les images sont un vecteur fondamental de l’orientation éditoriale d’un magazine.

Leur contenu, leurs caractéristiques formelles spécifiques, aussi bien que leurs interrelations dans l’espace de la page comme dans l’ensemble du numéro, composent des énoncés visuels qui sont pour beaucoup dans l’attrait des magazines. Ceux-ci sont des sites privilégiés de la présence publique de l’image photographique.

Le magazine est un média de communication qui vise à jeter des ponts entre des milieux spécialisés et des publics plus larges. Que son mandat soit analytique ou, à l’autre extrême, axé sur des valeurs promotionnelles, le magazine constitue toujours un terrain hybride, un lieu de traduction et d’interprétation, qui vise à faire connaître et faire valoir des points de vue, des connaissances, des valeurs, et des productions, quand ce ne sont pas des produits. Chaque magazine se positionne donc, selon son champ d’intérêt et les moyens dont il dispose, dans un éventail communicationnel qui va de l’extrême spécialisation à la plus grande généralisation, d’un positionnement critique à la promotion de valeurs consensuelles, du tirage confidentiel à la diffusion massive. Les composantes structurelles de cette tension, elle-même renforcée par un système d’édition et de diffusion en continuelle expansion, se retrouvent alors, à différents degrés, dans tout magazine. C’est pourquoi ils sont un incroyable révélateur des valeurs de nos sociétés.

Nous avons réuni autour de ces enjeux des travaux qui ne se contentent pas d’explorer l’espace de la page mais qui sont, au contraire, fondés sur une appropriation, un détournement et même une exacerbation du contenu et de la mise en page de magazines existants. Ces travaux cherchent à rendre manifeste ce qui structure la part de l’image dans l’espace du magazine et à mieux faire percevoir ses énoncés implicites. Ils s’attachent à accentuer des composantes fondamentales du magazine qui structurent et réflètent les valeurs qui les fondent.

Ces magazines traitent d’affaires publiques, de propagande,
de pornographie et d’art contemporain. Autant de sujets où la photographie joue un rôle sensible et fondamental. Les interventions des artistes sont souvent minimales. Feldmann publie le double d’un magazine d’actualités sociopolitiques expurgé de tous ses textes. Il met ainsi à nu la structure des énoncés photographiques d’un tel type de publication. Boltanski, de son côté, extrait des planches couleur d’un magazine de propagande nazie pour ainsi faire naître des juxtapositions inattendues qui révèlent les vecteurs essentiels de l’imagerie utilisée à des fins de persuasion. Dans le contexte d’une censure artistique existant encore à Toronto à ce moment, Snow transpose un portfolio de Penthouse dans un magazine de photographie artistique, en y insérant les marques de son appropriation, afin de révéler les valeurs morales contradictoires qui sont en jeu. Terada, enfin, en publiant un magazine d’artiste, à édition unique, entièrement composé de publicités de magazines et de galeries du milieu de l’art contemporain exacerbe son inhérente dimension promotionnelle.