Fatalement disparaître – Danielle Roger

[Printemps 1989]

par Danielle Roger

(Lui)

Tu t’éloignes, lentement, à reculons. Me regardant encore, longtemps. Avant de partir, t’enfuir, DISPARAÎTRE. La panique dans l’œil. L’insoutenable en face. Je t’avertis : il n’y a pas de sortie de secours. Une seule issue. FATALE. Je sais, toujours est impossible.

(Elle)

Dis-moi qu’on se reverra. Prends-moi encore que je reprenne forme, couleurs et contours, que je me redessine un plan de vie. Remets-moi sur ta carte de visite. Laisse-moi occuper encore un peu de ton espace vital. J’ai déchiré mon certificat de naissance. J’ai mal au ventre, touche-moi. Ramasse-moi, recolle-moi sur ta réalité. J’ai perdu mon passeport pour la passion, mon visa de séjour dans ton lit. Donne-moi une entrée pour deux personnes. DISPARAÎTRE Laisse-moi revenir à moi, à toi, et à jamais. Regarde-moi. Prends-moi en photo. Couche-moi sur papier et garde-moi en souvenir. Mords-moi, prouve-moi que j’ai un corps. Attaque-moi, je te prouverai que j’ai du nerf. Arrache-moi un cri et tous mes «je t’aime» de la bouche. FAIS-MOI MAL AUTREMENT. Va t’en, sans me quitter des yeux. Mon amour aveugle. Ma passion myope. Tu me vois encore ? DIS-MOI QUE TU ME VOIS!

Tu t’éloignes, lentement. JE NE TE VOIS PRESQUE PLUS. Déjà l’absence. La brûlure au fond de l’œil. Attends! Laisse-moi te serrer un peu plus fort, te prendre, et te porter disparue.

(Elle)

Il n’y a personne. Je n’y suis plus. Déjà lointaine. Déjà personne. Exilée de ta peau. Complètement détachée. Finalement devenue l’illusion d’optique de tes rêves brisés. Une perte totale, sinistre et fatale. TA CHÈRE DISPARUE.

(Lui)

Tu t’éloignes, lentement. Tu veux partir à l’épouvante. Tu cours dans mon champ de vision. Je t’avertis : Pas de sortie de secours! L’œil dans l’objectif, JE TE VOIS. Et, je vise juste !

(Elle)

Je t’ai fondu dans les mains, dans la bouche. Et maintenant, je te fonds dans les yeux. Regarde ! VOILÀ LE PORTRAIT. Tout ce qui reste de moi. Le visage de la défaite. Évanouie dans le décor de la vie normale.

(Lui)

Pendant que tu t’éloignes, lentement. Je reste là. Sans m’enfuir. Les mains liées derrière le dos. AVEUGLE ET ASSASSIN. Tu t’éloignais, lentement, à reculons. Me regardant encore, longtemps. Tu n’a pas pu partir, t’enfuir, DISPARAITRE. La panique dans l’œil. L’insoutenable en face. Je t’ai avertie : Pas de sortie de secours ! Une seule issue. FATALE. Tu sais, plus jamais est impossible. Ne pars pas. Puisque je reste sur les lieux du crime. Je suis là, mon visage collé au tien, inerte et déjà glacé. Tout ce qui reste de toi. Ton image, peut-être déjà ta photo. Je te garde sur moi. Je te garde en souvenir. Dis-moi que c’est encore toi MA PASSION, MA FATALE, MA DISPARUE. Dis-moi que c’est toi que je vois. Dis-moi que je peux encore te voir. RIEN QUE TE VOIR.