Habitat

Nous voici, humains et bêtes (ce qui revient au même), d’office engagés dans le fait concret et nu d’exister. Nous sommes – ce verbe le dit avec la force d’une loi – enfoncés dans l’être comme fondations dans le sol. Au long des quel­ques heures, jours, décennies que dure notre vie, nous apprenons, de la naissance à la mort, à habiter notre existence. Parce que nous sommes, et nombreux, il semble légitime d’affirmer que le règne du vivant comporte autant d’habitats que de manières d’y vivre. Voilà ce que s’efforce de traduire en images un pan considérable de la photographie depuis son invention.

Bribes de l’impossible inventaire de tous les lieux habités, les quatre portfolios présentés dans ce numéro proposent autant d’incursions dans des environnements tantôt réels, tantôt fantasmés, mais toujours construits. Ce que nous montrent, en premier lieu, les pigeons photographiés par Stephen Gill, c’est l’enracinement de la vie dans le théâtre de son déploiement, édifié, contre l’histoire, à même l’acier, la fiente et l’accumulation des jours.

Portant son attention sur l’humain, Steve Veilleux dévoile dans sa série Projections le fantasme dominant d’habiter, l’air hébété et le sourire béat malgré la crise, au sein d’un cadre de vie façonné selon une conception du monde n’ayant d’autre idéal que la consommation. Bien que communément envisagé à la manière d’un produit, l’habitat n’en demeure pas moins un lieu fascinant de construction, donc d’utopie. Champ de possibles, il peut se faire l’écho, comme le suggèrent les collages d’Allison Tweedie, de l’inquiétante étrangeté de la psyché humaine. Enfin, l’idée même d’habitat se voit anéantie lorsqu’elle se trouve absorbée, engloutie, noyée dans l’expérience immersive de la nature, là où la vie que nous habitons, ainsi que l’enseignent les castors de Normand Rajotte, n’est, en dernière instance, qu’un vaste et perpétuel chantier de saisons.

Alexis Desgagnés

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