La légende d’exposition – Jean Cédras

[Automne 1989]


par Jean Cédras

« est-ce vrai qu’une peau noire ressent moins la douleur? »

Souvent, par inadvertance ou par manque d’attention, on place un plus petit que soi, un démuni, dans une situation d’isolement dont on sous-estime l’importance.

C’est sans doute à cause d’un préjugé innocent et bête qui remet à flot une formule comme « est-ce vrai qu’une peau noire ressent moins la douleur? »

Moi-même, n’ayant pas trouvé de réponse à mes imbécillités, je me devais de me fier à ce qu’il me reste de souvenirs, entre autre, du temps de mon indiscipline où, puni, je désespérais d’être seul, seul, prisonnier d’un monde qui avait le droit de vie tout autour.

C’est de là, sans doute, que m’est venu l’idée de voyager sans grand déplacement. Il fallait seulement que je retourne les talons pour entrevoir ce monde que je croyais fait de surveillants.

Encore incertain, sur le traîneau par lequel mon père m’emmenait, à la vitre de l’auto que je conduisais, je maintenais mon isoloir d’observation.

Il me fallut beaucoup de temps pour apercevoir et voir ce qu’il fallait de courage à chacun pour mener sa lutte, sa survie, l’une toujours aussi juste que l’autre, même si souvent, cela semble se faire au détriment des autres. Chacun ayant fixé un rôle, l’assume, jouit de tous ses attributs et privilèges, même seul, sa fête semble continuer, pour un temps, pour tout le temps de l’énergie vive. Ensuite, il vous restera semble-t-il une place, une place dos au mur, pour continuer à regarder la vie ; voir quelqu’un crier sa passion, son désir, voir l’ombre de ce qui fut une grande nation. Tout cela semble si anonyme, si bien organisé, chaque espace si défini, que je cherche encore l’ouverture — on pourrait dire le F16 de la photo — l’ouverture sur la bague qui permettrait aux uns et aux autres de se retrouver.