Ludger Côté, Vieil album de famille – Nicole Filion, Les mariages

[Automne 1991]


par Nicole Filion

Est-ce qu’elle marie un professionnel ? Benjamine d’une famille nombreuse composée en majorité de filles, j’ai eu la chance et le bonheur de vivre plusieurs fiançailles et plusieurs mariages dont bon nombre se sont estompés dans ma mémoire.

J’ai souvenir toutefois d’une certaine boucle, énorme, qu’on m’avait mise dans les cheveux, d’un chapelet sur la corde à linge, de l’Express du Canadien National qui apportait des cadeaux que ma soeur Colette développait dans l’allégresse ! J’ai souvenir d’une robe en organdi bleu ciel et d’une autre en velours turquoise, avec boléro, toute boutonnée à l’avant. « Une robe parfaite pour aller voir le médecin ! Parlez-moi de ça ! », avait dit le docteur Labrie qui me soignait pour un polype à l’oreille, un an plus tard. Je me souviens des fréquentations nocturnes de Ghislaine et de Jacques, ce dernier étudiant le jour, travaillant le soir et venant la courtiser à minuit, une fois les parents couchés: « Tant pis, je suis trop fatigué, je me couche !  », disait mon père à ma mère.

Je me souviens du « déshabillé » créé par un grand couturier nommé John Kelly, mort assassiné une dizaine d’années plus tard ; je me souviens de Paule Boisvert-Chalifour, artiste-peintre venue nous maquiller au matin du grand jour : « Voici Avon, madame ! ». Je me souviens des visites chez la modiste, des chapeaux hauts-de-forme, des robes en poult-de-soie vert émeraude, de cette entité bien palpable et fortement monnayable qu’on appelait « la mère de la mariée », des fleurs dans l’église, du tapis rouge et des limousines, du bouquet que l’amie de la mariée aurait tant voulu attraper et qui m’est tombé dans les mains, par erreur et inadvertance, moi et mes douze ans, quel gaspillage ! « T’aurais donc pas dû l’attraper ! »

>Les mariages avaient lieu à dix ou onze heures, la réception se déroulait au Château Bonne-Entente ou au Vendôme. Les époux louaient une chambre, allaient mettre leurs costumes de voyage et partaient en lune de miel ; les invités, et d’autres encore, se joignaient à la foule pour le cocktail chez les parents de la mariée, pour aller voir les tables dressées avec les cadeaux dessus et le nom des généreux donateurs et donatrices sur une petite carte blanche. « Meilleurs voeux de bonheur, ma tante Antoinette ! »

Et toute la vie future se dressait sur les tables recouvertes de nappes blanches : le seau à glace pour les soirs de champagne, les vases en verre taillé, les coupes aux motifs délicats, la théière en porcelaine, le « malaxeur », le cendrier de marbre, le percolateur, le porte-journaux, la coutellerie, le plat tournant pour les crudités, le « set » de vaisselle – Made in England – que l’on retournait, le cadeau dont tout le monde riait parce qu’il dénotait un goût douteux ou parce que personne ne savait qu’en faire. Et après toutes les médisances, et toutes les suppositions (s’est-elle mariée « obligée » ?), la soirée se terminait en famille, dans un hôtel quelque part en ville.

Je n’ai pas forcément vécu toutes les étapes de ces événements, car j’étais, fort heureusement, trop jeune. Pour moi, le plus mémorable entre tous, ce fut le mariage de ma soeur Claudette.

À ma connaissance, tout a commencé par la rivalité qui opposait Claudette à son ancienne amie, Lucie Dionne. À ma connaissance, ce mariage s’est déroulé dans une sorte d’économie de marché : Il fallait que tout soit mieux que, ou plus que… du faire-part jusqu’au gâteau « trois étages » en passant par les cloches qui volaient, qui volaient ! Y a-t-il vraiment quelque chose à dire sur ce mariage sinon qu’il dépassait l’entendement, que ma soeur Claudette avait misé tout son honneur sur la réussite de ce plus beau jour de sa vie ? Je me rappelle également que sous le fallacieux prétexte de me faire essayer la robe de la demoiselle d’honneur, on avait tenté de m’empêcher de partir pour quelques jours de vacances sur la petite Ile-aux-Patins, en face de Saint-André-de-Kamouraska, île où je devais apprendre ce qu’était un ciel étoile. Devant tant d’exagération, d’inconscience et de légèreté, j’avais inventé la plus spectaculaire réplique en forme d’éruption de bouton, et vlan ! en plein dans le visage ! : « Ah non ! Tu vas pas être comme ça pour le mariage ! ». Claudette avait eu tellement peur qu’elle m’avait laissé partir et j’en ai conclu pour toujours que la guerre des boutons, c’était vraiment efficace et que je pourrais y revenir, comme ça, occasionnellement, les jours où « trop c’est trop ! ».

De ce mariage, je me rappelle également y être allée « accompagnée ». J’avais invité, pour la circonstance, un garçon de bonne famille qui se nommait François-Xavier Garneau, que les filles n’aimaient pas forcément mais qu’elles invitaient quand même pour les cérémonies officielles, Dieu sait pourquoi d’ailleurs! Probablement une idée qu’on se faisait qu’il était présentable et qu’il savait parler aux mères ! Pour le cocktail, j’avais une magnifique robe de nylon, décolletée en rond, avec manches bouffantes transparentes et large ceinture, F.-X. « collait », comme on dit, ma mère regardait et j’étais terriblement gênée !

De tous ces mariages et de toutes ces fêtes, ne restent que des albums et des films en Super 8, et les enfants qui disent: « Ah mon Dieu ! Regarde-donc ma tante Nicole ! »