Marc Tessier – David Liss, Tarot

[Été 1996]

par David Liss

Marc Tessier est poète, conteur, alchimiste, artiste. Ses films, ses bandes dessinées et ses photographies sont les matériaux avec lesquels il métamorphose l’existence terrestre et la réalité ordinaire en un univers mythologique où règnent l’imagination et l’aventure. Avec une verve parfois surréaliste, il invente des paysages magiques, des décors de contes de fées, des mondes de merveilles qui résistent à la linéarité de l’interprétation didactique. Ses photographies sont autant de fenêtres qui incitent le spectateur à suspendre toute logique pour passer De l’autre côté du miroir.

Tarot (1994-1995) est une série essentiellement biographique, délicieusement chargée de signes et de symboles personnels et universels, où la cartomancie fournit au photographe le thème d’une inspiration mystique. Chaque composition s’articule autour d’une icône centrale dont le caractère et les activités suggèrent les états psychologiques particuliers du rêve, de la fantaisie, du ravissement et de la contemplation cosmique.

Anima présente une figure ailée qui vole, dans le ciel vers les étoiles, entourée d’un fœtus ailé, d’un corps aux vaisseaux sanguins mis à nu, ayant un cerveau en guise de tête et plongé dans un escalier ne menant nulle part, d’un cœur schématique enlevé par un ange, de têtes coupées perchées sur des structures architecturales, et de divers autres débris célestes. La disproportion entre les différentes composantes de l’œuvre déjoue toute logique. En bref, un univers tout à fait bizarre qui s’inspire à la fois du théâtre, de l’illustration scientifique et du diaporama d’histoire naturelle.

Dans Le Soleil, un personnage masculin se tient en équilibre, face aux cieux, sur le surplomb d’une falaise. Sa silhouette nue se profile sur une nuit humoristiquement encombrée de découpures illustrant des étoiles, des lunes et des soleils aux expressions idiotes. Il est entouré d’une rangée de personnages minuscules vêtus de complets, un œil de cyclope fiché dans leur oreille-tête. Ces clones, bidimensionnels, représentent la vision homogène, limitée — l’étroitesse d’esprit propre aux conventions d’un monde que le personnage souhaite abandonner. Un fouillis de racines relient le haut de l’image à la moitié inférieure, où une déesse souterraine — dont la représentation renvoie à une peinture classique — repose, nue, paisiblement endormie dans un terrier rappelant une matrice.

Les deux photographies incarnent la préoccupation thématique de Tessier, soit la transcendance de la matière et notre essence spirituelle soumise à des états de conscience alternatifs.

 

La Lune et Le Monde mettent chacun en scène des femmes minutieusement tatouées de glyphes occultes et de dessins exotiques. Une de ces femmes, les yeux grand ouverts, émerge de la terre par une ouverture en forme de vagin ; une autre est livrée à une tranquille béatitude, entourée d’un soleil ardent et d’une nuit étoilée. La juxtaposition de ces deux œuvres personnifie symboliquement l’exploration que l’artiste fait des passages transitoires du cycle de la vie : naissance et mort, sommeil et éveil, existence terrestre et libération céleste. Sondant les mondes mystérieux que recèlent ces dualités, l’imaginaire se révèle un terrain de prédilection pour la reconnaissance des territoires inconnus de la psyché.

Qu’il évoque le fait mythologique, la cérémonie quasi religieuse, les rites païens ou les rites de passage, Tessier puise les éléments de son riche vocabulaire visuel à même l’astrologie, la métaphysique, la science, le théâtre, le cinéma, l’histoire de l’art, le kitsch et l’humour. La photographie ne prétend pas ici enregistrer des vérités objectives. Entre les mains de Tessier, l’appareil photo devient l’ultime outil contemporain du prestidigitateur qui réinvente l’artifice, l’allégorie et l’enchantement.
texte traduit par Gilles Lessard

Marc Tessier est un artiste de son époque. Riche d’une formation de base en communication et en scénarisation, il s’est spécialisé en photographie à l’université Concordia de Montréal. Son travail reflète des mondes de rêves, de désirs et de sensualité émergeant de la mythologie arthurienne et nimbé d’une spiritualité originale.

David Liss est artiste, écrivain et conservateur. Il est critique d’art au quotidien montréalais The Gazette, et, depuis avril 1995, directeur/conservateur de la galerie du Centre d’art Saidye Bronfman.