Michel de Broin et Ève K. Tremblay – Sylvain Campeau

[Été 2005]

Honeymoons
Pierre-François Ouellette Art contemporain,
Du 6 novembre au 18 décembre 2004

Cette exposition duo séduit à plus d’un titre. Elle séduit d’emblée par son titre puisqu’elle nous suggère une sorte de condensé romantique stéréotypé, que l’exposition ne développe finalement que sous le mode de l’ironie et du ludique. Elle attire aussi du fait que les artistes qui en sont responsables forment un couple. Il s’avère donc que cette exposition s’inscrit sous le couvert de l’osmose amoureuse, comme le mentionne si élégamment l’auteur du texte du catalogue qui accompagne l’événement. Osmose amoureuse qui chercherait en quelque sorte son pendant dans l’union artistique et créatrice1.

Mais outre son thème, la manière même dont elle impose une direction aux images montrées avec le libellé même du titre est remarquable. C’est d’ailleurs une constante dans l’univers de Ève K. Tremblay que de choisir des titres fortement évocateurs qui se donnent de façon évidente comme une composante artistique, qui orientent fortement la lecture et agissent de concert avec les images montrées. Car, la lune de miel n’est certes pas un référent aisément identifiable de par les thèmes, les acteurs, leurs positions et postures dans la composition des images. Rien, sans ce titre, ne laisserait présager que cette série est l’illustration d’un voyage de noces. C’est que le titre n’illustre pas un thème, ne décrit pas une intention et ne s’offre pas non plus comme un intitulé englobant. Il se décline plutôt comme un porteur de sens, au même titre que les autres composantes des images. La thématique de la « lune de miel » est donc maintenant devenue incontournable. On ne se mesurera pas à cette exposition en renvoyant chaque image à ce paradigme signifiant. C’est ce qu’escomptaient d’ailleurs les artistes.

D’ Ève K. Tremblay, on reconnaît donc d’emblée certains traits : la qualité de couleurs des images, une certaine densité dans ces dernières, les poses étudiées de deux protagonistes qu’on suppose être les deux artistes, les éléments de mise en scène un peu lâches, tellement qu’ils nous font hésiter entre artificialité et véridicité des scènes saisies, les composantes fictionnelles, elles aussi assez ténues pour entretenir le doute. Et il y a aussi, bien sûr, le fait que l’on ait recours à la photographie, sa forme d’expression exclusive. La contribution de Michel de Broin, dont on connaît surtout les sculptures, semble moins évidente. Pourtant, sa touche est là, présente dans l’occupation de l’espace dans les images, le choix de certaines masses, du rapport qu’entretiennent avec elles les personnages, la présence des corps présentés comme matière. Il y a aussi la manière même dont les images, devenues masses encadrées, occupent de leurs dimensions différentes, par rapprochement et arrangement en séquences et mobiles, l’espace des murs, comment elles se répartissent et se déploient sur leur aire et de l’un à l’autre. Si bien qu’il y a d’une part la séquence des images et, d’autre part, leur organisation en masses accrochées qui contribuent, et de concert, à établir une dimension narrative bien particulière.

Ensuite, bien sûr, il y a le contenu des images. Il faut dire d’emblée qu’ Honeymoons tient plus du road movie emporté que de la lune de miel romantique. Des images d’intérieurs, de chambres d’hôtel, vue partielles d’apparents bidonvilles ou de terrains vacants, images du couple ou d’un seul de ses deux composantes en forêt, cette série collige bien des états d’errance qui ne sont pas ceux associés d’ordinaire au voyage de noces. Les images qui sont sans doute les plus remarquables sont celles d’interaction entre l’un des tourtereaux et la forêt avoisinante ou un habitat vaguement industriel.

Comme telles, les images suggèrent d’étranges rencontres. On y voit quelques scènes apparemment volées à des lieux visités. Le couple apparaît, dans l’une, au bord de la mer. Mais c’est une mer grise et déchaînée devant laquelle les deux amoureux se dressent sur des blocs de béton. On est bien loin de la plage enchanteresse. On est, manifestement, aux abords d’un rivage abrupt. La femme semble même retenir par le bras son amant obnubilé par l’eau. Une autre image nous renseigne davantage sur le lieu où ils se trouvent tous deux. Une barrière bancale, enjambant presque les rochers, obstrue bien imparfaitement le passage vers un lieu dangereux et interdit. Dans une autre, en réponse à celle de l’imprudent penché sur la mer, c’est la jeune femme, seule cette fois, qui utilise un téléphone d’urgence, la tête tournée vers la mer, sans doute encore secouée par le drame qu’elle y voit encore et qu’on devine. Enfin, c’est dans des lieux abandonnés, en friche, que l’un des deux amoureux apparaît, ou bien suspendu par les mains au chambranle d’une large fenêtre donnant sur des passerelles entre constructions de pierres, ou bien donnant un peu de lumière à l’ampoule d’une pièce délabrée. Ils parcourent aussi d’autres lieux interdits, alors que d’étranges triangles jaunes, aux formes rappelant les centrales nucléaires, apparaissent derrière une pancarte interdisant l’accès au lieu.

D’autres images suggèrent une certaine intimité. Ainsi, à l’avant-plan d’un long corridor aux allures de bunker, la jeune femme entrouvre son manteau dans le cadre lumineux d’une porte, s’apprêtant à entrer dans une pièce dont on ne voit rien. Il y a aussi la série des courses et empoignades dans les bois, qui s’ouvre sur la saisie de chevilles autour desquelles une petite culotte est enroulée. Dans celle-ci, les personnages se livrent à d’étranges étreintes et empoignades avec la flore environnante. Ils se hissent dans les arbres, enlacent un rocher ou se dérobent partiellement à la vue grâce à ce couvert verdoyant et végétal.

En bref, Honeymoons offre un ensemble apparemment désordonné de pérégrinations qui sont autant de voyages concertés et exploratoires dans les univers communs de ces artistes. Son parcours narratif n’est toutefois pas fondé sur une linéarité de lecture mais procède bien davantage par bonds et à-coups, par étapes et bornes de sens. La série trouve ainsi son unité tant dans la poursuite d’une thématique éclatée que dans le modèle de l’accrochage et la disparité des dimensions des cadres et photos. Chacune forme ainsi une sorte d’îlot bien circonscrit mais qui est aussi une étape dans la poursuite des ébats amoureux/artistiques du couple.

1 Osmose qui atteint même l’auteur du texte de la publication ! Un même écrit, dans son doublet version française/traduction anglaise, se trouve affublé de deux noms différents. Udo Karl de Sauriac signe la version originale en français ; Eduardo Ralickas, anagramme de l’autre, appose son nom au bas de la traduction (ou de la version ?) anglaise.

Commissaire d’exposition, essayiste et poète, Sylvain Campeau collabore aux revues ETC, Montréal, Ciel variable et Vie des arts.