Mouvance et mutation – François Dion

[Automne 2000]


par François Dion

Musée canadien de la photographie contemporaine, Ottawa
du 19 mai au 17 septembre 2000

À première vue, l’exposition semble vouloir présenter une sélection de travaux de jeunes artistes qui se sont distingués, ces dernières années, sur la scène canadienne. Cette entreprise est particulièrement bienvenue, surtout lorsqu’elle est le fait d’une institution muséale majeure. Par contre, les habitués des galeries et des manifestations d’arts visuels ne seront pas surpris de retrouver ici des œuvres exposées maintes fois et reproduites dans diverses publications. Signe que les musées, même ceux qui présentent de jeunes pratiques, se situent trop peu souvent en amont. Il y a toutefois un certain effet de surprise et de plaisir à voir une si grande diversité de propositions.

Le texte de la brochure, écrit par Andrea Kunard (son nom n’apparaît pas comme commissaire), présente avec un certain sérieux les enjeux de l’exposition. Selon l’auteure, notre époque aurait adopté une vision du monde différente de la vision traditionnelle. La tradition est basée, selon elle, sur une conception qui accorde une certaine objectivité au dispositif photographique et sur l’unicité de la perspective adoptée par l’artiste. L’attitude contemporaine serait redevable, elle, au fragment et à la « connaissance provisoire » (principaux concepts utilisés par Kunard). Toutefois, cette explication est quelque peu remise en cause par les artistes eux-mêmes. L’exemple de Janita Eyre, et sa filiation avouée avec la photographe du XIXe siècle Hanna Maynard, remet en question l’énoncé de Kunard sur l’unicité de la perspective traditionnelle. L’attachement au paysage place Schinkle, et plus particulièrement Yves Arcand, dans une filiation directe avec le passé. Greg Staats, qui exposait au même moment au Centre d’art indien, à Hull, parle de sa tentative d’établir « une communication plus complète » et plus inclusive. L’explication de Kunard aurait eu avantage à explorer la façon dont les artistes s’attachent à cet héritage photographique, l’examinent ou le rejettent, et se situent dans le contexte actuel, plutôt que d’annoncer une rupture.

L’éclectisme maniéré de Janita Eyre et l’approche documentaire d’Yves Arcand contrastent avec les travaux tout en nuances des autres artistes. Les photographies de Susan Coolen, de Ramona Ramlochand et de Greg Staats sont particulièrement révélatrices d’une sensibilité contemporaine en ce qu’elles s’attardent peu à cette distinction entre tradition et contemporanéité. À travers les possibles avenues qu’ouvre la photographie, ces artistes tentent plutôt de présenter, sous l’angle de l’identité et de l’appartenance culturelle, une approche critique du rapport de l’individu au monde, approche qui inclut la tradition. Complexes et subtiles, leurs œuvres traduisent avec force l’ambiguïté du sujet contemporain qui tente de rétablir un sentiment équilibré de liaison et de continuité. Cette attitude n’est certainement pas nouvelle, mais elle prend un sens particulier dans le contexte de cette exposition et des pratiques culturelles. Quand aux très belles images de Joanne Tremblay et aux découpages d’Andrea Szilasi, il serait intéressant de reconsidérer leur relations respectives avec le dessin et la peinture. Cette avenue critique aurait mieux rendu justice à leur contribution originale au vieux débat de la spécificité photographique.

La grande qualité de cette exposition tient toutefois à sa volonté de montrer dans quelle mesure la photographie contemporaine a su adopter des stratégies bien loin de la simplicité objectiviste et de l’essentialisme moderniste, pour nous inviter à réfléchir sur le monde et sur sa représentation dans une perspective intersubjective.