Restons calmes – Georges Théberge

[Hiver 1988]

par Georges Théberge

Si j’avais du cœur, Rodrigue, j’emmènerais mes enfants vivre où le cœur ne durcit pas pendant que le reste s’épanouit.
— Réjean Ducharme, Le nez qui voque

L’époque est fertile en paradoxes… fertiles. La pollution nous force à sauver le monde et bientôt, les immigrants protégeront notre culture. La terre est au bord du précipice, l’instinct de survie recule d’un pas… Je rêve que la réalité puisse défier la raison, je m’excite à penser que la vérité, c’est l’anarchie! Restons calmes…

L’immigrant est un corps étranger qui hante le sang du xénophobe. La peur de la différence éveille le mythe de la supériorité. Au-delà des mensonges génétiques, l’immigration est plus une solution qu’un problème.

Simple question de respect de l’environnement. Comme dirait Un Tel, « un humain vaut bien une truite! »

Notre culture fout le camp, dit-on. Seul le poids du nombre peut nous sauver du folklore… on fait de moins en moins le poids! À moins que les immigrants, eux qui connaissent « l’état de péril », soient sensibles à notre fragilité. Le gouvernement ne s’en préoccupant guère, sans eux, on est « faittte ».1

Mais en société de croissance, on DOIT être nataliste. Tant pis si la planète déborde! Et si le peuple est trop égoïste, l’artificiel s’en chargera : à quand le lèche-vitro?

Évidemment, nous DEVONS sauver notre culture. Chaque peuple a le cœur à son sirop d’érable… pur à 101%. Mais on doit aussi apprendre à penser en millénaires: on est une poignée de fourmis sur une motte de terre.

En attendant, le quotidien suffoque: c’est la faute des réfugiés illégaux! Non ! c’est la faute des députés fédéraux… Ainsi danse l’escalade de l’erreur. L’harmonie des différences plutôt que l’équilibre de l’erreur!

Bien sûr il faudra s’élargir. Bien sûr il y aura des heurts et des grincements de sang. C’est le prix à payer pour assécher le vert de nos nombrils. Le début nous échappe…

Pour l’amour du simple bon sens, je rêve (encore!) qu’ici gît le centre du monde! Quel merveilleux bon débarras! Enfin libres! Ego égaux et go!

« Espèce de vœu pieux va ! » dit la réalité en criant au secours… la vie a l’air folle quand elle refroidit. L’ennemi veille et suggère: « Avant de n’être rien, soyons fascistes! », « Des ravages de la paix, retournons aux joies de la jungle! », « Béatifions les indésirables: à quand l’année internationale des races inférieures?!! »

« Quelle merde! » répond le calvaire. Restons calmes…

1 Bon signe: la communauté grecque appuie l’idée d’un Québec français (mai 1988).