Préface : Michel Brault

[Hiver 1990]

par Michel Brault

Un photographe est un voyant dont la mission est de découvrir l’essence de l’objet qu’il photographie et de le présenter dans un contexte qu’il choisit. Et pour ce faire il ne dispose essentiellement que de cinq outils principaux : les quatre côtés de son image, et sa capacité de s’éloigner ou de se rapprocher de son sujet. Tout le reste n’est qu’accessoire.

Ce n’est pas tellement ce que l’on montre qui est important, mais de montrer ce que l’on ne voit pas. 
— Minor White

Pour écrire aujourd’hui, je dois encore me battre avec les mots. Ces mots qui, depuis mon enfance, me torturent, se jouent de moi, se défilent. Les mots sont des traîtres, ils sont mes ennemis. Leica, au secours ! Heureusement, un jour alors que j’étais au collège, un ami me fit découvrir l’action de la lumière sur les sels d’argent. Je sens que je vais encore raconter cette histoire. C’est pourtant la première fois que je l’écris.

Je devais avoir 16 ou 17 ans, j’étais pensionnaire au collège St-Jean. J’avais un ami à qui on avait demandé de photographier tous les locaux du collège. Moi j’étais son assistant.

Une de nos tâches était de photographier le corridor principal. Il installe donc sa caméra sur un pied à un bout du corridor et, pour avoir une plus grande profondeur de champ il règle son objectif à f64. Comme il n’y avait pas beaucoup de lumière il a dû exposer pendant 20 secondes.

Or pendant que l’obturateur était ouvert, un prêtre, tout de noir vêtu, traverse le corridor désert. Je m’exclame : « Bon ! La photo est ratée ! » Or mon ami me dit la chose suivante qui a peut-être influencé le cours de ma vie : « Mais non, le noir ne s’enregistre pas, c’est la lumière qui influence la pellicule. » C’en était fait, j’allais devenir photographe à cause de l’action de la lumière sur les sels d’argent.

La technique est la béquille qui libère les forces créatrices.
— Pierre Gisling

Je n’aurais donc plus besoin de me battre avec les mots pour m’exprimer et c’est ainsi que fût ma vie, tout entourée de lumière.

Les photographies sont des citations hors de leur contexte.

Regarder une photo c’est méditer, sur un instant, le début ou la fin d’une histoire. Puis un jour je n’ai plus fait de photo, j’ai fait du cinéma.

La chance n’arrive qu’à ceux qui étaient prêts.

Encore une fois je me suis laissé emporter par les mots… J’ai envie de faire une photo et pourtant j’aimerais tellement être écrivain.

Toute photographie est une image mentale
— Alain Bergala