Chih-Chien Wang, Aussi loin que nous soyons, aussi près que je peux – Sonia Pelletier

[Automne 2013]

Musée des beaux-arts de Montréal
Du 4 décembre 2012 au 17 mars 2013

Par Sonia Pelletier

Réunies dans une salle du Musée des beaux-arts de Montréal, le Carré d’art contemporain, les œuvres de Chih-Chien Wang semblent d’emblée vouloir nous rapprocher des choses et nous faire rencontrer des êtres. Les mots beauté et simplicité du quotidien nous viennent spontanément à l’esprit à la vue de ce travail. Dans cet espace spacieux, le spectateur aura à observer deux séries photographiques presque identiques, mais subtilement différentes intitulées judicieusement Reflets décalés, une série, Espace clos, de neuf tableaux similaires sur fonds blancs comportant des éléments floraux et fruitiers semblables à des herbiers, et une double projection vidéo grand format, Brèves rencontres.

L’accrochage efficace, les dimensions et la qualité des images, leurs combinaisons doubles sur lesquelles repose tout l’ensemble de l’exposition intriguent et donnent presque à méditer sur chacune des œuvres. Chih-Chien Wang possède ce don de transposer le temps et son arrêt dans ses photo­graphies. C’est aussi de proximité qu’il nous parle, d’espaces intimes à pénétrer, de l’entre-deux parfois ténu entre le monde intérieur et le monde extérieur. Il y a une opération de rapprochement et un exercice d’observation, presque performatifs et perceptifs, à l’œuvre dans ce corpus. Une ambiguïté quant à la fixité des choses, des conditions pour lesquelles l’on reste ou l’on part et qui honore l’essentiel de la vie et de sa transformation : le « aujourd’hui on est ici, demain on sera là ». Une mouvance paradoxalement fixée par l’image. Par exemple, dans la série Reflets décalés, le quotidien de l’artiste s’articule avec des images où l’on voit des composantes à la fois d’espaces de vie et de création comme celui d’un atelier. Sur une image, un fragment de lit sur lequel est appuyée une planche, matériau que l’on présume appartenir à l’artiste. Sur une autre, des œuvres emballées à côté desquelles sa conjointe, Yushan, dort sur une chaise. Ces espaces sont très épurés, presque vides, laissant croire à un lieu transitoire. De même, sur une autre image représentant un entre-deux, à l’intérieur, sur le seuil de la porte, se tient un couple (l’artiste et sa conjointe) dont l’expression des visages, des clés et du courrier tenu dans les mains nous confondent quant à savoir s’il s’agit d’une arrivée ou d’un départ. Bien qu’évoquant aussi des univers d’espaces clos et ouverts, deux allotopies ponctuent les séquences narratives de cette même série, l’une représentant un cheval à l’intérieur d’une écurie qui regarde, par une grande ouverture dans la porte, le paysage extérieur. Autre élément fascinant, une vidéo de courte durée présentée en boucle nous montre une image blanchâtre et très lente d’une embarcation sur un lac embrumé, presque imperceptible. Une sorte de paysage lointain qui nous transporte illico ailleurs.

Deux photographies nous introduisent aussi au propos du récit et à l’existence de la double projection vidéo dans cette exposition : l’image de l’endos d’une carte postale ainsi que celle d’une lettre, toutes deux écrites en chinois, dont la légende nous révèle qu’il s’agit de la description d’une personne aperçue dans l’espace public. Elles se retrouvent retransposées ici sur un support plus intime et nomade. C’est dans cet esprit que l’artiste a réalisé l’une des deux vidéos, celle représentant des portraits d’inconnus rencontrés dans un parc. Avec leur permission, il les a filmés pour mieux les connaître et nous les présenter. Cet exercice est une tentative réussie de rapprochement créatif spatiotemporel et de suppression de la distance sociale. Un échange intime avec l’autre est devenu possible à l’aide d’une caméra qui nous le rend avec grâce. De fait, la captation nous rend le détail des vêtements, des mains, des cous, des dos, des chaussures, l’expression des visages, leurs regards. L’artiste a aussi fait le tour des individus en nous montrant ce qu’ils regardent : le sol, le ciel, les feuilles des arbres qui tremblent, leur écorce, les rayures sur une table. La nature présente de façon récurrente dans le travail de Chih-Chien Wang réussit de plus à abolir la dicho­tomie intérieur/extérieur des êtres et des choses. Il y a dans cette œuvre une sorte d’éloge tout en douceur de la lenteur. Il dure le temps d’une rencontre à laquelle on se prend à croire. Cette exposition constituait une première pour l’artiste dans un musée. Elle a été réalisée dans le cadre d’une résidence à la Fonderie Darling. On la dit révélatrice de son travail à venir. Voilà une bien belle prémisse porteuse d’humanité.

Sonia Pelletier est coordonnatrice à l’édition de la revue Ciel variable.

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