Patrice Duhamel, Le catalogue des vents qui ont soufflé – Hélène Brunet Neumann

[Automne 2012]

Patrice Duhamel
Le catalogue des vents qui ont soufflé

Centre d’art et de diffusion Clark, Montréal
Du 8 mars au 14 avril 2012

Cette exposition des œuvres de Patrice Duhamel au Centre Clark concrétise une volonté commune de faire part du travail d’un artiste montréalais qui nous a quittés précocement. Le Centre investit ses deux salles pour présenter des œuvres vidéographiques et dessins de l’artiste, pertinemment choisis et mis en exposition par un groupe de ses ami(e)s artistes et commissaires, soit Sébastien Cliche, Charles Guilbert, Mathieu Beauséjour, Catherine Bolduc, D. Kimm et Bernard Schütze. Le parcours de l’exposition nous amène à découvrir, en premier lieu, des carnets de croquis disposés sur une tablette longeant le mur, des dessins apposés au mur et deux œuvres vidéographiques présentées sur écrans plats. S’y ajoute un dessin reproduit en gros plan directement sur le mur. Le visiteur peut ainsi fouiller l’univers intime et le processus créatif de l’artiste et faire des liens entre ses différents médiums d’expression : ouvrir la boîte de Pandore de la démarche artistique de Patrice Duhamel, une boîte de Pandore d’où s’échappent, non pas des malédictions, mais des inconforts.

I don’t know what I want but I know how to get it, une vidéo de douze minutes créée en 2001, roule en boucle sur un des écrans. Trois personnages y sont mis en scène. On peut y lire « 16 positionnements en faveur du bonheur ». La bande se déroule par chapitres sans laisser s’infiltrer une trame narrative linéaire. Des personnages investissent un lieu sous des angles inusités ; fauteuils, tables, cheminée condamnée sont explorés pour leur potentiel physique, en dehors des codes d’usage prédéterminés. L’ordinaire et le connu sont démantelés, les êtres, séparés, solitaires. La tronçonneuse électrique tenue sans besoin apparent suggère une violence non prononcée, demeurant sous-jacente, ressentie comme une pression interne pouvant exploser à tout moment. Sur l’autre écran, Vacancy/No Vacancy, une installation vidéo de 2004, propose une scène en gros plan sur deux êtres humains, un homme et une femme, assis sur une petite planche de flottaison, au bord de la mer. Ils cherchent à se positionner l’un par rapport à l’autre mais ne peuvent avec aise partager cet espace trop réduit, rendu instable par le va-et-vient des vagues. Les deux personnages s’attirent et se repoussent tour à tour. Encore une fois, la difficulté de communiquer, d’établir un équilibre dans un rapport à deux, sert de trame de fond. Malgré un effort de réajustement constant, ils ne parviennent pas à trouver une stabilité, un terrain d’entente. Ils ne rient pas, ne sourient pas, acceptent de jouer le jeu sans plaisir. Troublant.

Derrière des cimaises, l’installation vidéo Le camp (2007), « une double pro-jection dont les deux images sont parfois identiques, parfois étonnamment déphasées »1, est projetée sur le mur de la grande salle. Dans un espace intime multiple, le regardeur entre en contact avec la singularité d’une œuvre dans tout son déploiement. Deux caméras. Un lieu. Une mise en scène. La projection propose des jeux de perception, de dédoublement, de glissement d’une image à l’autre, rendus avec grande sensibilité. Des personnages posant des actions sans but, des gestes lents, se déplacent dans l’espace calmement. La répétition, intrinsèque à notre quotidien en tant qu’êtres humains, y est récurrente. Duhamel la teinte d’absurdité, voire de tragique, et en interroge ainsi le sens. Une femme balance un oiseau dans une cage, un homme pousse à travers un mur une forme rectangulaire. Les corps, les objets, les accessoires, l’espace entre les personnages et l’inquiétude existentielle qui s’en dégage deviennent matière à mise en scène. Dans le catalogue de l’exposition, Bernard Schütze cite des notes de l’artiste qui décrivent bien cette mise en espace : « Ce qui qualifie les corps, c’est l’arrangement. C’est le rapport spécifique qu’ils ont avec d’autres corps. »2 La trame sonore, composée par l’artiste, s’ajoute à cette matérialité virtuelle.

La solitude s’infiltre dans toute cette œuvre. Dans la petite salle, une série de dessins sont disposés en une ligne continue sur les murs. Ils détiennent les clés, en quelque sorte, du processus créatif de Patrice Duhamel, de son inspiration ainsi que des idées et des émotions qui sous-tendent ses œuvres vidéographiques.

Cette exposition rétrospective parvient sans peine à nous rendre sensible l’univers thémathique et expressif de l’artiste. L’angoisse existentielle, la difficulté de communiquer avec les autres, l’inconfort que l’on ressent devant les normes sociales y transparaissent. Dans cette perte de sens, la recherche de fusion avec l’autre, vécue comme un échec à répétition, pré-domine. De l’expression d’un malaise intérieur devant l’incontrôlable (les situations, les autres, les conventions) émerge un humour sarcastique, décrivant le décalage interprétatif qui relie les êtres humains entre eux et le labyrinthe mental de chacun : « …nous aimons fréquenter les seuils de l’ “intranquillité.” »3, dit-il. Le catalogue accompagnant cette exposition contient quatre textes sur l’artiste et ses œuvres signés par Sébastien Cliche, Charles Guilbert, Sylvie Cotton et Bernard Schüzte et un texte de Patrice Duhamel. De plus, pour compléter la judicieuse mise en exposition présentant trois vidéos pour ne pas surcharger l’espace, un dvd de l’ensemble de l’œuvre vidéographique de l’artiste a été édité par Vidéographe.

1 Texte descriptif de la vidéo Le camp, Patrice Duhamel. Le catalogue des vents qui ont soufflé, Centre d’art et de diffusion Clark, p. 25.
2 Duhamel, « Aernout Milk : les sculptures étourdies », p. 8 cité par Bernard Schütze dans Patrice Duhamel. Le catalogue des vents qui ont soufflé, Centre d’art et de diffusion Clark, p. 48.
3 Patrice Duhamel, dans Patrice Duhamel : Le catalogue des vents qui ont soufflé, Centre d’art et de diffusion Clark, p. 42.

Artiste, critique d’art et commissaire d’expo­-sition, Hélène Brunet Neumann s’intéresse à la rencontre, aux échanges entre différents héritages culturels et aux liens créés aux confluents de langages artistiques divers. Elle est titulaire d’une maîtrise en Étude des arts de l’Université du Québec à Montréal. Elle publie régulièrement dans diverses revues d’art montréalaises et a été commissaire d’exposition à plusieurs reprises, entre autres, pour l’exposition H2Eau au Musée d’art contemporain des Laurentides, en 2010-2011. Elle a récemment présenté ses œuvres sur les ondes énergétiques inhérentes à notre monde physique, au Centre d’exposition de Val-David.

 
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