Vincent Lavoie, Photojournalismes : Revoir les canons de l’image de presse – Érika Wicky

[Automne 2011]


Vincent Lavoie
Photojournalismes : Revoir les canons de l’image de presse,
Paris, Hazan, 2010, 240 p.

Dans cet ouvrage richement illustré consacré à la photographie de presse, Vincent Lavoie dévoile, analyse et remet en cause les présupposés attachés à cette pratique de ses origines à nos jours afin de dégager les multiples enjeux du photojournalisme. Cette position s’exprime d’emblée par le pluriel photojournalismes choisi par l’auteur pour décrire le sujet de son ouvrage ainsi que par une définition du photojournalisme mettant en exergue la complexité d’un phénomène qui se manifeste par des pratiques variées (photoreportage, essai photographique, etc.) elles-mêmes inscrites dans des rapports toujours plus singuliers avec le texte à travers divers modes de publication (presse quotidienne, revues, etc.). Cette recherche conduite sur un siècle et demi de photojournalismes semble trouver son origine dans un contexte bien particulier, celui d’une crise de la photographie de presse constatée par tous les acteurs de la profession depuis 1960. Cet ouvrage propose donc une réflexion sur un aspect majeur du paysage visuel actuel à un moment où il se trouve plus que jamais bouleversé par les transformations du rapport à l’image provoquées par les développements technologiques.

Ces éléments techniques qui ont accompagné le développement de la photographie de presse et sur lesquels se fonde presque exclusivement une grande partie de l’historiographie de cette pratique, bien qu’ils ne soient jamais perdus de vue dans l’ouvrage de Vincent Lavoie, n’y occupent pas une place centrale. L’auteur souligne les faiblesses d’une historiographie qui donnerait exclusivement la faveur à la dimension esthétique des images photographiques. Ces réflexions sur l’historiographie du photojournalisme ne permettent pas seulement de spécifier la position de l’auteur, elles s’inscrivent aussi directement dans le propos de l’ouvrage. En effet, il ne s’agit pas là d’une histoire du photojournalisme, mais d’un ouvrage qui, comme l’indique son sous-titre, mesure les attentes nourries à l’égard de ces images à travers l’analyse historique des critères de leur appréciation. Ces critères plus encore que la chronologie des développements des pratiques photojournalistiques président à l’organisation de l’ouvrage. Sans nier les déterminismes liés aux contraintes techniques et économiques ainsi qu’aux influences esthétiques, Photojournalismes envisage donc l’évolution historique de la photographie de presse jusqu’à nos jours au regard des critères qui permettent aux spectateurs, aux éditeurs et aux professionnels chargés de remettre des prix d’excellence de juger de la valeur d’une image.

Dans cette perspective, Vincent Lavoie observe les différentes stratégies qui ont fait le succès de la photographie de presse à travers l’analyse historique de son appréciation. On peut voir ainsi comment le paradigme de l’instantané apparu au XIXe siècle pour définir la singularité du médium photographique a été réactualisé au fil du temps au point de devenir une caractéristique du photojournalisme. Par implication, cette recherche de l’instantané a entraîné à la fois une désaffection complète des images dont les sujets posent et une grande valorisation des photographies prises sur le vif, sans pré- méditation de la part du photographe. De même, l’auteur observe dans l’histoire des pratiques éditoriales le procès de l’autonomisation de l’image par rapport au texte. Cette autonomie trouve une réalisation concrète dans l’ouvrage même dont chacune des nombreuses illustrations est accompagnée d’une légende propre insistant sur un aspect précis de l’image, de son contexte de publication ou de sa réception. Le papier glacé et les illustrations qui se déploient parfois sur deux pages justifient l’appartenance de cet ouvrage à la catégorie des beaux livres. L’iconographie du livre reprend des images de presse souvent très connues, invitant le lecteur à s’interroger sur la nature des qualités qui ont rendu ces images célèbres. Le parcours effectué dans l’histoire des critères d’évaluation de la photographie de presse se double ainsi d’un parcours visuel mené au sein d’une centaine de photographies témoignant de l’évolution de ces images.

Par ailleurs, Vincent Lavoie envisage dans une perspective historique les enjeux de questions aussi riches que celles de l’auctorialité, de la pratique d’un photojournalisme amateur, de la valeur documentaire ou informative des images ou encore celle de l’éthique de l’usage de la couleur. La poursuite de chacune de ces pistes d’investigation permet de mettre à jour le réseau de présupposés sur lesquels repose l’attribution d’une valeur à la photographie de presse en général et à une photographie de presse en particulier.

À l’heure actuelle, la question du caractère éthique du photojournalisme semble au centre de l’appréciation de cette pratique. Souvent accusée de faire commerce de l’horreur, la photographie de presse se trouve régulièrement parée par ses défenseurs d’une véritable aura conférée par l’énoncé de sa vocation humanitaire et du devoir de dénoncer. Cette responsabilité de dénoncer s’accompagne, en ce qui concerne les photographes, d’un discours louant l’abnégation de professionnels de l’information dont la proximité avec la violence et la mort semble garantir à la fois le caractère éthique de la démarche et la qualité de leurs photographies. Les vecteurs empruntés par les différents discours pour opérer ce glissement métonymique de la valeur éthique du travail photojournalistique à celle de l’image à proprement parler sont examinés dans le dernier chapitre du livre où Vincent Lavoie analyse le discours entourant la pratique du photojournalisme de James Nachtwey, lauréat de très nombreux prix d’excellence. L’investissement du photographe dans la cause des victimes semble une condition désormais nécessaire à la production d’une bonne photographie de presse. De plus, la conviction selon laquelle le photographe confirme, en risquant sa vie, l’importance et la nécessité de sa pratique permettrait d’expliquer que la photographie de guerre fasse l’objet d’une considération toute particulière qui s’exprime notamment lors de la remise de prix à des photographes. Au terme de ces analyses, le photojournalisme actuel apparaît ainsi soumis à des critères d’appréciation qui dépassent très largement les qualités de l’image à proprement parler pour s’attacher à ce que la photographie révèle de la probité de son auteur ainsi que de l’éthique de ses conditions de réalisation et de sa vocation. C’est précisément sur la question de l’éthicité des photojournalismes que se clôt cet ouvrage de Vincent Lavoie selon qui la nécessité d’une légitimation morale de la pratique du photojournalisme aurait entraîné la récente substitution de la valeur éthique des photographies de presse à leur valeur esthétique dans les critères de leur appréciation.

Érika Wicky enseigne l’histoire de l’art à l’Université de Montréal et à l’Université du Québec à Montréal. Elle a rédigé une thèse de doctorat sur la notion de détail (1830-1890). Ses recherches postdoctorales portent sur l’histoire de la photographie et, plus généralement, sur la culture visuelle du XIXe siècle.

 
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