Geneviève Thibault, Blanc – Gentiane La France

[27 octobre 2020]

 

Par Gentiane La France

La photographe Geneviève Thibault développe une approche documentaire aux accents ethnologiques, qui la fait voyager dans le quotidien des autres. Attachée aux objets domestiques qu’elle met en lumière avec des coups de flash d’une douceur diffuse, elle déniche les désordres organisés dans l’intimité des foyers visités. Thibault plonge dans les lieux de vie de communautés existantes, telles les Roms et les Ursulines, ou de communautés inventées comme celle des habitants de l’adresse 148 dans les rues du Bas-Saint-Laurent. Elle s’intéresse à l’être humain avec lequel elle tisse un lien, et au dépaysement que cette rencontre lui procure. Elle s’observe elle-même observer l’Autre, tout en prenant soin du sujet photographié avec, notamment, une frontalité respectueuse, typique du documentaire photographique, récurrente dans ses prises de vue.

Au cours des dernières années, Thibault a travaillé sur sa rencontre avec la communauté des Ursulines de Québec. À l’occasion de nombreux séjours au monastère, la photographe a parcouru l’univers serein des religieuses. Elle a visité ces espaces de vie commune qui accueillent sœurs et élèves depuis 1642, et que les Ursulines ont quittés pour habiter une maison de retraite. Ce projet documentaire, diffusé lors de deux expositions, d’abord au Pôle culturel du Monastère des Ursulines de Québec, puis au Musée régional de Rimouski, se déploie également dans les pages du livre photographique Blanc, paru aux Éditions Cayenne.

La photographie de couverture annonce déjà l’absence laissée par le départ des religieuses avec deux cintres dont les épaules se côtoient dans une garde-robe vidée. À l’intérieur, une première image présage la narration visuelle globale du livre qui se construit comme un cheminement vers l’hiver, avec une vigne vierge en dormance dressée sur un lit de neige, grimpant sur le mur qui délimite le territoire du couvent. On commence par la fin, le déménagement des Ursulines, parce que c’est de cela qu’il est question. Toutefois, ensuite, c’est le moment présent que les photographies révèlent, celui des activités journalières des religieuses; méditations, lectures, jeux, travaux manuels, promenades ou prières occupent les premières sections de l’ouvrage. Ces images des sœurs à l’œuvre sont ponctuées d’intérieurs et d’extérieurs, aux cadrages souvent symétriques, où le passage de l’été à l’automne se dessine en trame de fond.

Après le premier tiers du livre, l’anticipation se fait sentir en même temps que les feuilles rougissent. D’abord un geste de salutation adressé aux élèves dans la cour de récréation, plus loin une lecture sous le portrait de la fondatrice, sainte Marie de l’Incarnation, ensuite un calendrier qui fait le décompte avant le déménagement, suivi d’un ajustement des aiguilles de l’horloge. Au cœur du livre tombe l’hiver, en même temps que commencent les préparatifs pour la relocalisation des Ursulines hors de leur monastère, hors de leur moment présent. Dans les portraits, les regards sont plus souvent fuyants, vers le passé des souvenirs retrouvés ou vers l’avenir du déménagement qui approche. Des gestes anticipent le dernier Noël dans les lieux d’une vie entière. Les garde-robes et les murs se vident, les boîtes s’emplissent et s’empilent. Dans cette dernière partie de l’ouvrage, la photographe assemble les images d’une domesticité qui disparaît de lieux remplis d’histoire, les images d’un hiver blanc sans printemps.

 

Geneviève Thibault aborde avec une approche ethnologique, entre autres, les thèmes des rencontres, de la vie quotidienne et de la culture matérielle. La photographie est le pivot de sa pratique à partir duquel elle tisse des liens avec l’art sonore. Ses projets ont été diffusés au Québec, en Ontario et en Europe. Lauréate en 2019 du Prix international des Nouvelles Écritures, elle enseigne la photographie au cégep de Matane. genevievethibault.com

En tant que commissaire, Gentiane La France a organisé les expositions Entre trace et aura à VU et Les entretemps à Espaces F. Elle a enseigné l’histoire de l’art et de la photographie au niveau collégial. Elle coanime le magazine radio sur les arts visuels « L’Aérospatial » sur CKRL 89,1 à Québec. Titulaire d’une maîtrise en études des arts de l’UQAM, elle a aussi fait des études en photographie.