Indécence – Hélène Denoncourt

[Automne 1989]


par Hélène Denoncourt

La chambre est inodore, incolore. Quant à l’atmosphère, elle est toute crue, on a l’impression que l’air frissonne. Les bruits rebondissent durement et vous arrivent en plein thorax. Le silence est trop lourd, les sons se font maladroits.

C’est très inconfortable et tout à fait mortuaire. Pourtant, même s’il n’en peut plus, le sujet est bien vivant.

La lumière est violente, indiscrète. L’objectif fixe le visage et évite le regard. C’est la brûlure, fatale et défigurante, qu’il faut capter. C’est pour un document scientifique, un livre de dermato. La cause est sérieuse et justifiable.

C’est presque un don d’organe, tellement c’est intime. Le cliché est plus effronté qu’une page centrale indécente, plus triste qu’un document sur la misère. Les mots plaies nues à l’étalage pourraient remplacer le diagnostic qui figurera sous la photo. C’est très insolent tout ça, on devrait tous rougir. On demande plutôt au sujet de faire le vide, alors qu’il déborde de malaises. On lui demande aussi de se mettre au neutre, alors qu’il fait tout pour se prouver qu’il est en vie. Pour l’aider, on lui propose de fermer les yeux. Ses paupières se mettent à frétiller, on les croirait épileptiques et il s’en excuse. C’est pour lui très dur d’être le centre d’intérêt.

Le produit fini est, semble-t-il, une réussite. Le détail est parfait. Moi, je trouve qu’il y a trop de détails, et trop, c’est comme pas assez ; fallait s’abstenir.

On a remercié le sujet pour sa collaboration et sa patience. Pourtant, il n’avait rien à prouver, son humilité était authentique, cadeau très rare sous les flashes d’une caméra. Malheureusement, en évitant son regard, en le refusant tout entier, on a tout raté. La photo est brutale, impolie. La reproduction pure et simple est inutile, blessante.

On a montré une épreuve au sujet, il a détourné le regard. Il a fermé les yeux sans qu’on lui demande.