Capture – Karen Henry

[19 juin 2024]

Capture Photography Festival

Différents sites, Vancouver
1.04.2024 – 30.04.2024

Par Karen Henry

Le Capture Photography Festival est une invitation annuelle à déambuler au gré des nombreuses et diverses expressions entrant dans la rubrique photographie (ou prétendue telle). L’alignement des programmes proposés par les institutions, grandes ou petites, aux commandes pour lieux publics, des expositions de productions étudiantes à celles d’artistes nationaux et internationaux, propose une célébration de la culture de l’image pour quiconque désire l’explorer. Ici, je m’intéresse plus particulièrement à l’exposition conçu pour Capture et aux œuvres publiques, mais bien d’autres choses s’offrent à voir.

Karen Zalamea, Ensemble, 2024, photo: Dennis Ha

Karen Zalamea, Ensemble, 2024, photo: Dennis Ha

Ensemble, œuvre publique de Karen Zalamea, est installée pour un an sur la façade de l’Anvil Centre (qui abrite les archives de New Westminster), juste à la sortie de la station New Westminster du SkyTrain. L’image d’origine provient d’un numéro de 1986 du quotidien vancouvérois The Province et montre des danseurs des Philippines se produisant à l’Expo 86. Zalamea s’en est servi comme point de départ pour explorer la relation entre la communauté philippine de New Westminster et Quezon City, ville du pays d’origine des danseurs, les deux cités étant officiellement jumelées. Zalamea souhaitait rendre hommage à la communauté philippine de la région en revisitant, retravaillant et remontant la photographie. Elle en a d’abord éliminé l’arrière-plan, puis l’a doublée numériquement, inversant la copie pour créer cet agencement symétrique ; elle a ensuite fait un tirage sous forme de négatif, à partir duquel elle a réalisé un cyanotype – une image créée par la lumière naturelle et l’eau, qui sont toutes deux inhérentes à la vie et au lien unissant les deux villes. Le rendu au bleu caractéristique a alors été numérisé et agrandi pour donner cette élégante œuvre d’art public.

On Time, exposition organisée pour Capture, avait pour commissaires Emmy Lee Wall, Chelsea Yuill et Jeff Hamada. L’exercice d’une représentation du temps par le truchement de l’objectif semble aujourd’hui suranné. Du titre émane également un sentiment d’urgence, comme une précipitation pour être à l’heure ; toutefois, les œuvres dans l’exposition s’avèrent plutôt lentes par leur démarche de création. Elles ont été réunies pour leur évocation commune de la durée – de l’existence à travers le temps, pas uniquement dans l’instant. J’ai été particulièrement sensible aux pièces pour lesquelles la technique elle-même était nourrie par le temps, notamment par l’emploi de technologies anciennes et plus récentes. Pour Historic Present (2008–2012), l’artiste sud-coréen Sungseok Ahn porte l’art de la superposition des images à un extrême analogique ; il installe un écran sur des sites culturels historiques et y projette des images d’archives qui se fondent et s’harmonisent photographiquement à l’architecture contemporaine. Les photos, prises de nuit, créent un espace pour les souvenirs de la guerre de Corée et du joug colonial japonais qui ont façonné la ville de Séoul.

  • Sungseok Ahn, de la série / from the series Historic Present, 2009–2010, tirages par procédé chromogène / chromogenic prints, 71 x 89 cm, 71 x 102 cm, photo: Dennis Ha
    Sungseok Ahn, de la série / from the series Historic Present, 2009–2010, tirages par procédé chromogène / chromogenic prints, 71 x 89 cm, 71 x 102 cm, photo: Dennis Ha

Les portraits de gens tout juste sortis de prison et se réhabituant à la vie en société, présentés par Pendarvis Harshaw et Brandon Tauszik, sont simples, tout en portant en eux les histoires dramatiques de vies mises entre parenthèses. Cinémagraphies (hybrides entre vidéo et photographie ; vous en connaissez sans doute la version piétonne avec le réglage « live » sur vos photos iPhone) d’excellente facture, les œuvres soulignent que la vie est en marche et évolutive. Les images jouent en boucle, étirant le temps, mais l’imprégnant aussi par l’effet de répétition, de patience et de vulnérabilité. Les scènes de Berlin magnifiquement rehaussées au point de croix proposées par Diane Meyer apportent au passage du temps une dimension de matérialité tout en revenant sur un moment particulier dans l’histoire, sur les traces des sites modelés par la chute du mur de Berlin. Les expérimentations d’Aaron Leon avec la couleur et la lumière donnent préséance aux aspects techniques de la photographie sur la beauté du paysage. Avec un appareil photo à pellicule et des expositions multiples, l’artiste évoque les histoires de la peinture et de l’abstraction ainsi que la photographie d’une époque révolue, et il sublime la représentation du territoire.

  • Farah Al Qasimi, Marathon Oil Refinery, 2022, permission de / courtesy of The Third Line et / and François Ghebaly Gallery, photo: Dennis Ha
    Farah Al Qasimi, Marathon Oil Refinery, 2022, permission de / courtesy of The Third Line et / and François Ghebaly Gallery, photo: Dennis Ha

À l’extrémité nord d’Arbutus Greenway, un chemin cycliste et piétonnier dans la partie occidentale de la ville, une série de six panneaux présente des œuvres de la photographe arabo-américaine Farah Al Qasimi, issues de son immersion dans l’importante population arabe américaine de Dearborn, au Michigan, siège du constructeur automobile Ford. Les affiches positionnent ces scènes au-dessus des plates-bandes le long du couloir de verdure. La vie au féminin y occupe une place de choix, de ce qui semble être une femme en burqa noire contemplant l’eau sur l’île Fordson à une scène intérieure montrant une jeune lovée dans une couverture rose, une main manucurée dépassant d’une manche en lamé or au premier plan. J’ai été intriguée par l’image d’une jeune personne vêtue de couleurs vives, au genre quelque peu indéterminé, marchant à grands pas devant une grande publicité automobile peinte. Les pantalons teints au nœud, la veste jaune et les chaussures vertes contrastent avec le foulard noir traînant librement au vent sur l’épaule du personnage. Les photos d’Al Qasimi constituent une contribution importante à la représentation de la culture arabo-américaine bien vivante et offrent un point de vue particulièrement révélateur sur la vie des femmes.

  • Karice Mitchell, IV, de la série / from the series Will to adorn, 2024, photo: Dennis Ha
    Karice Mitchell, IV, de la série / from the series Will to adorn, 2024, photo: Dennis Ha

Il y a traditionnellement, lors du Capture, une grande image phare sur le poste électrique Dal Grauer au cœur du centre-ville animé, mais, cette année, la proposition de Karice Mitchell a été rejetée catégoriquement par BC Hydro. Capture a réagi en offrant à l’artiste une série de panneaux dans quatre emplacements, l’image originale commandée, quant à elle, étant installée à la Polygon Gallery à North Vancouver. Les panneaux déclinent différents niveaux de détail et d’abstraction de l’œuvre initiale, qui s’inspire d’un héritage de publications érotiques noires. Mitchell met en relief des ornements traditionnels, comme les perles, le satin et les ongles effilés, qui favorisent – mais aussi, contrecarrent – l’émoustillement et qui revendiquent la sensualité féminine sans pour autant abandonner l’agentivité. Elle voit l’affirmation de cet hédonisme comme une « proclamation de l’espace ». « Pour moi, le corps de la femme noire est un sujet qui doit être traité dans une optique stratégique en réaction à la manière dont le capitalisme, le patriarcat et la suprématie blanche l’ont exploité », écrit-elle dans le catalogue du festival. « Je vois ces histoires comme une assise sur laquelle les femmes noires, moi notamment, se doivent d’intervenir. »

  • Arielle Bobb-Willis, New Jersey, 2022, permission de / courtesy of Galerie Les Filles du Calvaire, photo: Dennis Ha
    Arielle Bobb-Willis, New Jersey, 2022, permission de / courtesy of Galerie Les Filles du Calvaire, photo: Dennis Ha

Les corps féminins noirs sont aussi représentés dans les photographies d’Arielle Bobb-Willis sur les panneaux d’East Hastings, mais ils sont ici aspirés par la couleur et une mise en scène de photographie de mode. Dans ces images décalées et bigarrées, intitulées Furiously Happy, ce sont l’éclat chromatique et la pose qui définissent le modèle. Par opposition, les représentations de femmes autochtones par Caroline Monnet s’inspirent certes également de la mode, mais avec des costumes amassés dans des friperies ou confectionnés sculpturalement à partir de matériaux non traditionnels, évoquant des récits et des fantaisies futuristes tout autant que des vies de labeur. Dans ces images, qui seront présentées successivement au cours de la prochaine année sur le panneau de GreyChurch, les femmes attirent l’attention et embrassent l’espace urbain avec leurs vies et leur potentiel militant.

Capture a grandi et atteint une certaine maturité depuis son lancement en 2013. Les expositions du festival, complétées par des textes de commande et des causeries d’artistes, un site Web exhaustif et un catalogue imprimé, en font un rendez-vous annuel de l’image éclairé par les traditions de la photographie, peu importe le nom qu’on leur donne. Traduit par Frédéric Dupuy


Karen Henry est auteure et commissaire indépendante à Vancouver.