J’ai pensé à toi, une collection d’oiseaux, par Mélissa Longpré – Marie Perrault

[3 juillet 2024]

Par Marie Perrault

J’ai pensé à toi, une collection d’oiseaux, Mélissa Longpré, Montréal, autoédition, 2024, 120 pages, 15 x 21 cm, reliure allemande

J’ai pensé à toi, une collection d’oiseaux, Mélissa Longpré, Montréal, autoédition, 2024, 120 pages, 15 x 21 cm, reliure allemande

Troisième livre de Mélissa Longpré, J’ai pensé à toi se compose de photographies, de dessins et de messages autour d’une collection d’oiseaux rassemblée au fil des ans. L’ouvrage a été créé en écho à trois expositions que l’artiste a présentées à Québec et à Montréal en 2024.

Depuis plus de dix ans, Mélissa Longpré recueille des oiseaux morts qu’elle trouve en nature ou en milieu urbain, au hasard de ses déambulations. Elle accumule ainsi carcasses, ossements ou plumes d’oiseaux ayant percuté les fenêtres ou été victimes de prédateurs. Elle conserve ces vestiges au congélateur ou à l’atelier, lorsqu’ils sont secs et exempts de chair, avec d’autres objets trouvés. Elle photographie soigneusement ce matériel en le mettant en scène dans différentes compositions s’inspirant notamment de la mise en vitrine.

Dans l’exposition à la galerie de ruelle Hangar 7826, les photographies et les dessins, ainsi que leurs regroupements dans l’espace, rappellent la disposition de spécimens dans un contexte muséal. Dans le livre photographique, de facture soignée et dynamique, les modalités de présentation produisent un tout autre effet. Elles égrènent au fil des pages un récit centré sur le regard intime que l’on pose sur les sujets, le lieu de leur découverte, leur place à l’atelier et l’attention bienveillante que leur porte l’artiste.

La première partie de l’ouvrage est d’ailleurs entièrement consacrée au travail de composition, de mise en relation, de dessin et de photographie que l’artiste réalise à partir de ce matériel. La seconde se présente comme un répertoire des messages reçus pendant plus de dix ans de la part de proches sensibles à sa fascination pour les oiseaux morts, qui la caractérise maintenant à leurs yeux. Les « J’ai pensé à toi » au début de leurs missives servent d’ailleurs de titre, tant au livre photographique qu’aux expositions de ce corpus.

Mélissa Longpré développe un récit visuel à partir de son attrait pour les bêtes recueillies. Elle les présente comme autant d’individus dont la vie s’est abruptement interrompue. Au-delà d’une énumération statistique du déclin de la faune aviaire, chaque oiseau perdu apparaît ainsi unique et irremplaçable. L’affliction de l’artiste s’épanche dans l’attention qu’elle porte à juxtaposer ces animaux et à les combiner à des objets, ainsi qu’à les photographier et les dessiner avec soin. La retranscription d’un schéma anatomique atteste sa curiosité scientifique, et la reproduction d’une esquisse de mise en page, la recherche esthétique que mobilise ce rituel artistique de deuil. L’artiste nous invite ainsi dans l’intimité de son atelier, nous faisant découvrir son processus de création, ses choix esthétiques et les multiples petits gestes qui les animent, ainsi que leur transposition en livre photographique.

La répétition de son geste nous place dans la situation qu’elle vit lorsqu’elle se retrouve devant un spécimen dans la nature. L’ouvrage montre donc peu à peu des photographies d’oiseaux trouvés par d’autres, avec la mention de leurs noms, du lieu et de la date de leur trouvaille. La rigueur de l’artiste à consigner le nom d’espèce de chaque individu s’applique aussi à enregistrer qui l’a trouvé, où et quand. Dans ce registre, l’affection que l’on porte à Mélissa Longpré et le partage de sa passion se déploient de manière tentaculaire. Les images qu’on lui transmet par courriel et qui sont reproduites dans la section des archives donnent à ce réseau une portée transfrontalière. L’occupation humaine de la planète se superpose ainsi aux migrations saisonnières des oiseaux ; émerge alors en filigrane le territoire que l’on partage avec eux et la nécessité d’en prendre connaissance pour limiter le déclin de leur population et la perte de biodiversité.

Sans enlever au drame de ces vies fauchées, Mélissa Longpré prolonge leur existence par ses gestes fédérateurs d’éveil de conscience et s’assure ainsi que ces êtres jadis vivants qui la fascinent ne se sont pas éteints en vain.


Originaire de Carleton-sur-Mer, Mélissa Longpré vit à Montréal et travaille dans différents territoires. Titulaire d’un certificat en arts plastiques et d’un baccalauréat en design graphique de l’UQAM, elle procède à la manière d’une naturaliste, basant ses recherches sur la cueillette, l’observation, l’identification et la documentation. La photographie, l’art imprimé, l’installation et la microédition sont ses voies d’expression. Ses œuvres ont été exposées au Québec, notamment lors des Rencontres de la photographie en Gaspésie, et en Norvège.


Marie Perrault suit l’actualité des arts visuels et médiatiques depuis plus de trente ans. Elle a conçu plusieurs expositions et publie des textes (essais, préfaces et comptes rendus) dans des ouvrages et des périodiques d’art contemporain. marieperrault.art