Minus 30, par Angela Boehm – Ewa Monika Zebrowski

[12 février 2025]

par Ewa Monika Zebrowski

Minus 30, Angela Boehm, Stuttgart, Hartmann Books, 2024, 112 pages, 24 x 34 cm, couverture rigide avec dos ouvert, papier Biotop

Minus 30, Angela Boehm, Stuttgart, Hartmann Books, 2024, 112 pages, 24 x 34 cm, couverture rigide avec dos ouvert, papier Biotop

Des cerfs broutent à l’abri du paysage clos.

Mes pieds sont au chaud.

Silence hurlant.

– Angela Boehm (rabat de la première de couverture)

Minus 30 est un ouvrage audacieux à bien des égards. Il pose le défi d’embrasser l’hiver dans le paysage des prairies, et celui de la photographie et de l’impression, afin de transmettre la nature éphémère de cette longue saison, blanc sur blanc. Et le froid. Et l’obscurité. Les hivers des prairies sont plus rudes que la plupart des autres, avec des températures et des blizzards souvent insupportables. Dans ces régions, la saison froide dure sept ou huit mois, commençant en octobre pour se terminer en avril. Sept mois de blancheur, de silence et d’isolement. C’est ce que cet ouvrage, le premier d’Angela Boehm, reflète.

Née en Saskatchewan, Boehm a connu la poésie et le mystère de cette saison nivéenne en grandissant dans une ferme avec ses parents et ses deux frères. Décidée à photographier l’hiver des prairies qu’elle avait vécu enfant et de réfléchir à la perte des membres de sa famille, elle a entrepris une série de périples en voiture pour retrouver la maison et la ferme familiale, aujourd’hui abandonnées. Une sorte de processus de deuil.

Elle a commencé ses photographies en 2020. On ne peut qu’imaginer la volonté et le courage nécessaires pour s’aventurer en plein cœur de l’hiver à la découverte d’un passé perdu. Le trajet de sept heures en voiture depuis Calgary, où elle vit, a souvent été périlleux à cause des tempêtes ; les autoroutes étaient parfois fermées en raison des vents et de la visibilité limitée.

Minus 30 est un haïku visuel déployé. Sa lecture induit un certain rythme méditatif. Les cinquante-cinq images présentent le même format, sont disposées de façon identique sur toutes les pages, avec des marges légèrement décalées. Envoûtant. Un cheminement dans la blancheur et le silence. Et la solitude.

Boehm a photographié les champs immaculés silencieux ; une corneille semble danser avec le vent dans plusieurs images. Dans ses clichés, des animaux apparaissent comme dans un rêve. On ressent le froid intense et le vent hurlant. L’impression d’être pris dans une tempête de neige où on perd tout sens de l’orientation. L’hiver est-il un mirage ou un rêve?

Au cours de deux hivers et demi, Boehm a rassemblé plus de huit mille images, qu’elle n’a saisies que lorsque la température chutait à moins 30 °C ou plus. Elle en a pris l’essentiel en Saskatchewan, n’utilisant que l’histogramme de l’appareil photo pour lire la lumière. Les photographies numériques ont été réalisées et imprimées en couleurs. On peut voir des touches de rose et de doré dans le paysage noir et blanc.

L’image en couverture ressemble à un chuchotement, un dessin abstrait japonais à l’encre ou au fusain. Les photographies sont comme de délicates esquisses de paysage qui explorent les angles de cette saison d’hibernation. Nous observons des traces d’un paysage délicat, à peine visible, voilé par un mystérieux rideau de glace et de neige. Une saison de dormance.

Sélectionné pour le Prix Pictet, Minus 30 est une œuvre de poésie visuelle, d’atmosphère. On sent le monde enveloppé de quiétude. Lyrique. Aucune intervention didactique n’est nécessaire. Bien que publié dans une édition courante de huit cents exemplaires, Minus 30 ressemble à un livre d’artiste, tant par la forme que dans le contenu, grâce aux contributions de la graphiste Akiko Wakabayashi et de l’imprimeur Robstolk. Le format élégant nous permet de pénétrer dans les photographies imprimées sur un papier mat blanc de craie. Avec sa reliure suisse, le livre s’ouvre complètement à plat. Les paysages racontent l’histoire. Minus 30 a été conçu dans le cadre du programme unique de livre photo d’une durée d’un an proposé par Brad Feuerhelm, de Nearest Truth Editions.

Deux textes figurent à la fin de l’ouvrage, l’un de l’écrivain Brad Zeller et l’autre du commissaire indépendant Daniel Blochwitz. Zeller vit au Minnesota et a travaillé avec le photographe Alec Soth. Il connaît bien l’hiver. Blochwitz habite en Suisse et n’a jamais expérimenté l’hiver dans les prairies que Boehm décrit. Les deux auteurs réagissent poétiquement à son voyage hivernal au long cours.

Boehm elle-même ajoute un bref texte prosaïque sur sa démarche artistique à la fin du livre. Son ode à l’hiver. « Mon travail est guidé par les attributs fugaces de la vie et de ses étapes, ainsi que par les rythmes du monde naturel, écrit-elle. À travers ma photographie, je cherche à préserver et célébrer les souvenirs d’environnements qui disparaissent lentement, tout comme je veux consigner l’essence de mon historique familial, ancré dans les hivers durs, mais magnifiques de la Saskatchewan. C’est plus qu’un voyage visuel – il s’agit d’une exploration profondément personnelle de la mémoire, de la perte et de la résilience. » Traduit par Marie-Josée Arcand


Angela Boehm est une photographe et artiste autodidacte canadienne résidant à Calgary, en Alberta. Elle a adopté la photographie en 2019, après avoir travaillé comme gestionnaire pour le Canadien Pacifique et en philanthropie. Elle a reçu plusieurs prix en 2020 et présenté huit expositions individuelles. www.angelaboehm.ca


Ewa Monika Zebrowski est photographe et poète. Elle a présenté quarante expositions individuelles et produit vingt-cinq livres d’artiste depuis 2001. Son travail figure dans plus de cinquante collections institutionnelles et muséales au Canada, aux États-Unis et ailleurs dans le monde, dont celles du MoMA, du Getty Research Institute et de la Menil Collection. www.ewazebrowski.com