Robert Walker, Promenade lavande : le village gai de Montréal

[14 août 2024]

Par Robert Walker

Je me suis souvent demandé pourquoi les couleurs mauve, violet et lavande étaient associées à une « esthétique gaie », si tant est, d’ailleurs, qu’il en existe une. Le violet rime depuis longtemps avec les personnes gaies et bisexuelles, mais pourquoi?

En consultant une recherche menée à l’origine par Scott McPherson, j’ai appris qu’une telle association remonte à 1856, quand un chimiste anglais découvre incidemment le premier colorant synthétique, la mauvéine. C’est le point de départ d’une industrie tout entière de colorants artificiels, qui vont devenir très à la mode dans les années 1890. Le moment n’aurait pu mieux tomber. Cet engouement coïncide avec l’apogée de la carrière du dramaturge homosexuel Oscar Wilde et de la renommée de l’artiste Aubrey Beardsley. Les œuvres d’Art nouveau sexuellement explicites de Beardsley mettent en scène des gens de même genre et, même si le sujet est alors plutôt controversé, ouvrent la porte à des discussions sur l’homosexualité.

C’est seulement en 1926 que l’auteur Thomas Beers publie The Mauve Decade, son livre sur la décennie 1890, et plus la société découvre le caractère très courant du désir entre personnes de même sexe, plus le mauve devient symbole de l’homosexualité.

Avançons rapidement jusqu’aux années 1950, où la nostalgie gaie associée au mauve et au violet estompé évoquant la lavande inspire au sénateur américain Everett Dirksen l’expression « gars de lavande » – employée ad nauseam comme synonyme d’homosexuel dans cette période politique d’angoisse et de persécution pour les hommes gais, appelée plus tard la « peur violette ».

C’est ce qui va finalement mener à une généralisation du rapprochement entre hommes gais et violet – dans toutes ses nuances – et, plus d’une décennie après, quand le mouvement pour les droits homosexuels voit le jour, c’est cette couleur qu’il adopte.


Né à Montréal, au Québec, Robert Walker est diplômé de l’Université Concordia en 1969, où il étudie la peinture auprès de Jean Goguen et Roy Kiyooka. Il participe à des ateliers de photographie avec Lee Friedlander à Montréal en 1975 et Gary Winogrand à New York en 1980. Il vit et travaille à New York pendant dix ans, où il publie son livre New York Inside Out (Oxford University Press, 1984), avec un avant-propos de William S. Burroughs. Son second ouvrage, Color is Power (Thames & Hudson, 2000), sert de catalogue pour une exposition itinérante présentée dans six pays à travers l’Europe. En 2018, le Musée McCord Stewart lui passe commande de la production d’une documentation photographique des transformations du quartier Griffintown à Montréal. Ce projet aboutit à une exposition en 2020. http://robertwalkerphotographer.biz/