[29 novembre 2023]
Par Louis Perreault
Intérieur de jour dans un appartement aux larges boiseries et aux planchers d’un bois franc vieilli par le temps. Sur la table de la salle à manger, une lumière diffuse tombe sur des objets de toute sorte. Une plante y côtoie un jouet d’enfant, un grand vase rempli d’eau, un bouquet de fleurs et une horloge ancienne. Derrière cette installation éphémère, un dégradé lumineux ajoute progressivement au mur blanc quelques tonalités plus foncées, enveloppant la scène d’un calme serein. Un lieu familier, transformé par Kate Hutchinson en atelier d’artiste, dans lequel elle se photographiera pendant près de trois ans aux côtés de sa fille Isla, afin de retrouver lentement ses repères à la suite d’une rupture amoureuse. Son récit s’organisera autour de quatre saisons allégoriques, chacune marquant les étapes d’un apprentissage et d’une transformation en devenir.
Tout d’abord, il y eut l’hiver, saison de la séparation du couple que la photographe formait avec son amoureux de longue date. Sur et autour de cette grande table, reçue quelques mois plus tôt lors de la pendaison de la crémaillère, elle réalise ses premiers autoportraits en compagnie de son mari, sur le point de quitter leur vie familiale. Ils y apparaissent tous deux en transparence, effet obtenu par le truchement d’une superposition d’images, laissant penser que leur faible opacité témoigne de la scission du corps amoureux. Quelques pages plus loin apparaît la petite Isla, floutée par un temps d’exposition lent, les mains tendues vers le haut, comme si elle demandait à être portée. Tout comme la mère et le père, elle devra apprendre sa nouvelle vie, cultiver la souplesse du cœur qui trouvera désormais, peut-être, plus d’une famille à aimer. Le livre Seasons of Separation amène avec une délicatesse et une simplicité désarmante la charge émotive de son sujet. Il constitue une méditation sur l’amour et la famille, mais aussi sur la solitude, la perte et l’importance du temps dans tout processus de réparation et de deuil.
Vint ensuite le printemps. L’appareil photo, placé sur trépied, cadre la pièce plus largement. Désormais seule avec sa fille dans un nouveau noyau familial, l’artiste performe devant l’objectif. Si on imagine qu’elle aura trouvé dans la stabilité de la répétition une manière de canaliser l’anxiété résultant d’un tel changement de vie, Hutchinson retrouve aussi, dans ce projet, une méthode caractérisant certains de ses projets antérieurs : qu’il s’agisse des portraits d’inconnus réalisés pendant plusieurs mois sur le mont Royal (The Park, 2013–2015), des photographies de son mari produites entre 2004 et 2012 (Why Am I Marrying Him?) ou même de ces natures mortes captées sur le comptoir rouge d’un ancien appartement (Red Counter), sa pratique puise dans l’approche typologique. Elle lui permet d’approfondir des sujets en les assujettissant à un ensemble d’images ayant en son centre l’expérience sentie et vécue de l’artiste. Le livre en tant que réceptacle de ces collections d’images est ici d’autant plus justifié qu’il met également en relief la chronologie du récit.
Suivront l’été et l’automne, le premier marqué visuellement par la trace rouge d’un film abîmé lors du développement de la pellicule – une surprise visuelle particulièrement efficace pour briser le rythme régulier de la séquence –, le second poursuivant cette pratique de l’image fondée sur le jeu et l’expérimentation avec les particularités techniques du médium photographique (foyer sélectif, temps d’exposition, profondeur de champ, etc.). Le livre évite l’écueil d’une finale bien résolue, où chacun aurait retrouvé parfaitement ses repères ; plutôt, il suggère un processus dont le dénouement se découvrira dans le cycle des saisons à venir. Dans les dernières images, nous découvrons une jeune Isla plus âgée et retrouvons l’artiste-mère, le regard bienveillant porté vers sa fille et posant derrière la table dont l’encombrement semble progressivement s’être délesté de la mise en scène pour retrouver le désordre authentique du quotidien.
Dans une postface présentant son intention artistique, Hutchinson y va d’un ultime témoignage, dans une langue claire et sans prétention. Le livre y gagne en authenticité et en sincérité, alors que les quelques détails de la vie de l’artiste qui ont été cités précédemment trouvent leur place au cœur d’une réflexion à propos du rôle de la photographie dans l’apprivoisement des soubresauts que nous réservent nos existences.
Louis Perreault vit et travaille à Montréal. Il déploie sa pratique à l’intérieur de ses projets photographiques personnels ainsi que dans les projets d’édition auxquels il collabore grâce aux Éditions du Renard, qu’il a fondées en 2012. Il enseigne la photographie au Cégep André-Laurendeau et contribue régulièrement au magazine Ciel variable, pour lequel il recense la parution de livres photographiques.