Vis-à-vis, par Louis Perreault – Mona Hakim

[5 novembre 2024]

Vis-à-vis, Louis Perreault, Montréal, Éditions du Renard, 2024, 96 pages, 23 x 30 cm, couverture rigide toilée et estampée, impression offset / hard cover, linen cloth and foil stamping, Offset printing

Vis-à-vis, Louis Perreault, Montréal, Éditions du Renard, 2024, 96 pages, 23 x 30 cm, couverture rigide toilée et estampée, impression offset / hard cover, linen cloth and foil stamping, Offset printing

Par Mona Hakim

Produite par les Éditions du Renard, Vis-à-vis est la neuvième publication du photographe et éditeur Louis Perreault dans laquelle les éléments de la nature irradient sous les réflexes de l’acte photographique dont il exploite avec brio les aléas comme les virtuosités. Une nature qui lui parle, l’émeut, l’entraîne vers une expérience sensible et introspective, qu’il parvient à nous transmettre en remuant nos propres sens.

Depuis près d’une quinzaine d’années, le travail photographique de Perreault repose sur la relation physique et affective qu’il entretient avec les lieux, cherchant à extraire des récits à même leur histoire, leur architecture et les gens qui les habitent. Ce sont, de ses premières captations, les rues, les ruelles et les portraits dans des quartiers de Montréal, les sites et le visage des communautés visitées d’Amérique centrale et d’autres paysages balisés par des souvenirs familiaux. Alors ancrés dans une perspective documentaire, le plus souvent transmis sous forme de livres photographiques, ces projets ont pris ces dernières années une inclinaison plus lyrique, laissant une large place au territoire naturel, notamment depuis Les affluents (2019). Vis-à vis s’inscrit dans la continuité de cet ouvrage avec une vibration, une physicalité et une éloquence accrues, tant dans la forme que dans le contenu, dévoilant l’attachement profond du photographe envers la nature, qu’il aborde ici de manière plus frontale.

La couverture rigide et feutrée de Vis-à-vis, sertie de végétaux couleur bronze sur fond noir, annonce une publication particulièrement attentionnée et soignée de la part de son auteur. On ouvre le livre comme on ouvre les feuillets d’un ouvrage exclusif, avec doigté et lenteur. D’une page à l’autre se déploie la traversée en forêt d’un photographe captivé par ce qui s’offre à lui. Plans d’eau, végétation, branchages enchevêtrés, fleurs séchées, roches, sol calcaire, traces laissées sur les objets sont saisis au flash sous un éclairage crépusculaire qui donne la mesure du magnétisme des images et de la mise en récit. De manière similaire, les jeux contrastés d’ombre et de lumière, d’ombres portées, de noirs abyssaux et d’effets de brume rythment la lecture et contribuent à maintenir une aura énigmatique sur les objets.

Ce climat particulier n’est pas fortuit. En introduisant ponctuellement et discrètement sur papier mince ses propres écrits, Perreault, dont on reconnaît d’emblée la plume poétique, emprunte le ton de la confidence et livre avec émotivité la beauté, les mystères et les métamorphoses d’une nature créative avec laquelle il fait littéralement corps. À cet effet, ses explorations personnelles comme ses moments d’exaltation ne sont pas sans faire écho aux expériences sensorielles d’un David Abram (cité dans le livre), pour qui la vie humaine prend sens lorsqu’elle est envisagée dans sa corporéité et dans son appartenance à la planète. Ressentir la Terre et les animaux qui la peuplent comme extension de notre propre corps, telle est la vision « d’un monde plus qu’humain » décrite par ce pionnier de la philosophie du vivant. Une conception animiste qui semble avoir interpellé avec émoi le photographe au fil de ses lectures et de ses découvertes sur le terrain. Interpellé également par les écrits d’Akiko Busch sur la notion d’invisibilité, Perreault en retient « une sensibilité marquée envers son environnement, une capacité à s’y fondre prudemment, à y survivre en harmonie avec la multitude ».

Bien sûr, le thème de la nature n’est pas nouveau dans le monde de la création. Or l’intégrité et l’humilité qui transparaissent dans les propos intimistes du photographe apportent un souffle supplémentaire à l’ouvrage et un surplus de magie aux images. Un souffle qui témoigne ici de l’aptitude des mots, de la pensée et des émotions à s’incarner derrière le geste photographique.

Soulignons la qualité impeccable des impressions, leurs effets de profondeur et de texture, le gros plan de nombreux clichés et les reproductions pleine page qui accentuent, avec acuité, le regard haptique posé sur les objets. La présence de mains qui apparaissent ici et là dans l’ouvrage comme si elles cherchaient à toucher la peau des choses répond à son tour, et d’une manière plus littérale, au dialogue physique et sensoriel évoqué. L’excellent travail de mise en page de la publication où se succède une variété de compositions revient au professionnalisme de Perreault (et à sa passion pour le livre photo) qui a participé à toutes les étapes de production, fidèle à l’excellente réputation des Éditions du Renard qu’il dirige.

Vis-à-vis déplie des espaces de partage et de dialogue, des espaces qui s’ouvrent à l’Autre, à un corps vivant, à une Terre animée et à sa capacité de métamorphose et d’éblouissement. Un ouvrage à contempler et à ressentir, pendant qu’il est encore possible d’accueillir la beauté de la nature et de rêver à travers elle.


Louis Perreault vit et travaille à Montréal. Il déploie sa pratique à l’intérieur de ses projets photographiques personnels ainsi que dans les projets d’édition auxquels il collabore grâce aux Éditions du Renard, qu’il a fondées en 2012. Il enseigne la photographie au Cégep André-Laurendeau et contribue régulièrement au magazine Ciel variable, pour lequel il recense la parution de livres photographiques.


Mona Hakim est commissaire, historienne et critique d’art. Auteure d’essais et de nombreux textes critiques, elle collabore à Ciel variable depuis plusieurs années. Elle s’intéresse aux divers enjeux liés aux pratiques photographiques actuelles avec un œil vigilant sur la scène québécoise. Ses plus récents essais ont porté sur l’œuvre de Chuck Samuels, Isabelle Hayeur et Bertrand Carrière. À titre de commissaire, elle a réalisé plus de vingt-cinq expositions rétrospectives et collectives.