Bettina Hoffmann, Touch – Guillaume Lafleur

[Automne 2016]

Occurrence espace d’art et d’essai contemporains, Montréal
Du 5 mai au 18 juin 2016

Par Guillaume Lafleur

L’artiste Bettina Hoffmann continue d’approfondir une oeuvre amorcée au milieu des années 1990 et marquée par la chorégraphie, qui se déploie depuis sous des formes aussi bien vidéographiques et installatives que photographiques. Hoffmann propose dans les cinq vidéos qui ont été présentées à la galerie Occurrence un souci pour le cadre de l’image tel qu’il peut servir à l’espace de la chorégraphie, en trouvant à y inscrire une singulière portée dramatique. La place du groupe dans le plan aussi bien que celle de l’individu au sein du groupe en est le motif majeur. Dans ce contexte, la mise en espace qui prévaut dans la galerie pour en rendre compte mérite d’être détaillée au même titre que le contenu desdites chorégraphies filmées.

Sur un écran plat posé au mur à l’entrée de la salle d’exposition, la première oeuvre, Jeu de paume, enchaîne les plans alternés d’un seul lieu (en bordure d’un escalier dans un endroit d’apparence industrielle) sous un cadre fixe, en champ-contrechamp et souvent en contre-plongée. Trois femmes lancent des balles en direction d’une quatrième, allongée près du mur où les projectiles vont rebondir sans jamais la toucher. La vitesse des lancers augmente et la protagoniste se déplace en faisant une roulade entre les balles.

La deuxième vidéo, Hold On est d’une durée de cinq minutes (l’oeuvre la plus longue ne dépasse pas huit minutes) et témoigne à nouveau de la virtuosité et de la précision chorégraphique d’Hoffmann. Cette fois-ci nous y voyons un groupe de deux hommes et de deux femmes, en plan taille, dans un lieu quelconque, un studio au fond blanc. Voici le principe de cette chorégraphie : chaque protagoniste est successivement en état d’affaissement et n’est retenu debout que par le groupe, qui devient solidaire de ce dernier non seulement en relevant le défi de le maintenir, mais aussi en cherchant le point d’équilibre où il ne viendrait pas à s’affaisser aussi. Le tout s’exprime par une série de postures crées avec la tension et l’exigence de demeurer dans le cadre. Mais l’ob­jectif expressif témoigne d’une étrange langueur des corps basculant parfois dans une torpeur tranquille, vers l’affaissement toujours possible.

Freitod – Interference with happy memories utilise le même type d’écran plat que pour la première œuvre de l’exposition. Mais cette fois-ci un aménagement élaboré accompagne la vidéo : face à l’écran, un grand tapis, une table avec trois chaises où le spectateur peut s’assoir et placer les écouteurs sur ses oreilles pour entendre la bande-son. Sur la table sont posés plusieurs sacs en plastique, avec des victuailles, de l’eau, du pain, etc. L’on retrouve dans la vidéo cette même table, ce même tapis, avec quatre protagonistes debout dans des poses figées. Ils ouvrent la bouche quelques secondes et la referment. Ensuite ils avancent, se déplacent, au ralenti, à dessein, en lisant un texte où une réplique dite en français par un personnage est reprise à l’identique en anglais par un autre. Toujours par des mouvements au ralenti, ils font basculer la table et les chaises, procédant ainsi à une épreuve physique spectaculaire. Le titre dit bien le propos : évocation de la mémoire, où une phrase peut être complétée par une autre phrase clé. Par exemple, la phrase « La réalité de ta propre mort », à laquelle succède « Il n’y a plus de continuité ». Cette œuvre est constituée d’un seul plan fixe qui prend la forme d’un tableau en mouvement.

Touch est montrée dans la deuxième salle de la galerie, une pièce fermée par des rideaux. Ce mode de projection vient naturellement souligner l’importance de cette œuvre dans l’ensemble de l’expo­sition. Trois personnes se tiennent de chaque côté d’une table où est allongée une femme en apparence inanimée, mais qui commence à émettre des réflexions sur la situation dans laquelle elle est. Tandis que son entourage tente de placer son corps supposé sans vie dans une position adéquate sur la table, elle ouvre la bouche pour souligner la proximité des autres ou encore affirmer que le toucher est une manière de transmettre de l’information. Son corps est relâché et elle parle les yeux fermés.

Mais le moment fort de cette exposition demeure à mes yeux cette œuvre en creux dans la première salle qui campe tout le propos. Suicidewarp (en mémoire de Christian) développe en contrepoint une technique qui relève à la fois de l’animation et du théâtre d’ombres. Silhouette projetée au milieu de la salle, elle fonde un récit d’une simplicité extrême dont la progression correspond d’abord au mouvement d’un enfant sur une balançoire. Puis, cette silhouette s’abstrait en de longues rayures latérales qui strient le cadre. La bande-son va d’une musique électro entremêlée de cordes à des bruits de circulation routière et de trafic aérien. La silhouette se balance maintenant seule, sans vie. Voici le territoire abrupt où ces œuvres oscillent : entre le mouvement des autres et l’immobilité de la mort.

Guillaume Lafleur est programmateur­-conservateur à la Cinémathèque québécoise. Il a publié Pratiques minoritaires, fragments d’une histoire méconnue du cinéma québécois (1937-1973) chez Varia en 2015.

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