Manon Labrecque, L’Origine d’un mouvement – Sylvain Campeau

[Printemps-été 2017]

L’Origine d’un mouvement
Expression, centre d’exposition de Saint-Hyacinthe
Du 27 août au 23 octobre 2016

Par Sylvain Campeau

L’Origine d’un mouvement en est à sa troisième présentation. D’abord offerte à AXENÉO7 à Gatineau puis à la Galerie d’art Louise-et-Reuben-Cohen à Moncton, l’exposition a terminé sa tournée au centre Expression de Saint-Hyacinthe où l’espace, adapté aux œuvres montrées par l’artiste et la commissaire Nicole Gingras, propose un parcours assez idéal des créations récentes de Manon Labrecque.

La première salle qui se propose à notre vue regroupe des œuvres sur papier dans une installation prenant le titre les uns. Celle-ci accompagne l’installation vidéo, projection avant tout, qu’est touchée. L’une et l’autre fonctionnent de concert pour nous amener au cœur même des préoccupations de Manon Labrecque.

La seconde, soit l’écran qui reçoit l’image, est imprégnée d’un dessin sur papier calque qui reproduit la forme des deux mains. Au loin, derrière, l’artiste s’avance, yeux fermés et mains tendues, jusqu’à venir à toucher l’écran et lover ses mains dans l’empreinte double qui les attendait. Les dessins qui sont dans la même salle sont encore sur chevalets et ils ont été exécutés à deux mains, à tâtons, alors que l’artiste gardait, volontairement, les yeux fermés. Des corps incertains, aux contours flous, résultent de cette expérience, reproduits depuis un corps lui-même contraint, hésitant, qui va à la rencontre de sa propre image, depuis ses propres moyens, avec ses membres laissés à eux-mêmes.

Cet effort de correspondre à son ombre, on le retrouve aussi dans l’oeuvre présentée dans la salle arrière, en projection. Avec apprentissage, c’est un personnage féminin, aux abords non définis, qui se profile, légèrement plus grand que nature, dans un environnement noir et blanc, laiteux. Sur le mur, une silhouette a été dessinée. C’est à celle-ci que le personnage s’efforce de concorder. La projection est en boucle, ce qui fait que l’on ne sait trop si la protagoniste essaie de sortir de son ombre ou d’y rentrer, depuis le sol où elle est assise. Il est assez révélateur ici de voir en cette ombre imprécise la vraie personne alors que le dessin donne la silhouette de quelque chose qui ne s’y tient pas encore.

Fort justement, Nicole Gingras a écrit cette pensée qu’elle a mise au mur pour exposer son propos : « [Manon Labrecque] pense son ombre et l’apprivoise. » On ne saurait mieux dire. Car il s’agit bien de cela, posé comme question fondamentale et dont les oeuvres offrent l’exploration. Rappelons que le premier amour de l’artiste est la danse et qu’on ne saurait dès lors se surprendre de son intérêt pour le mouvement. Mais, en celui-ci, une même inquiétude se répète. Ce qui émane de moi, que ce soit comme image ou comme mouvement, en un mot, comme représentation, évoque-t-il avec vérité et acuité ce qu’il en est de ce moi ? Question d’artiste, certes, mais qui trouve ici à se remoduler dans des oeuvres. Comme si, dans chacune, l’artiste s’employait à essayer de faire correspondre ce corps qui est le sien et qui lui échappe en gestes et mouvements, à ce qui est en elle de fondement de soi.

Le moulin à prières de la salle 3, s’il est une installation aux trois machines un rien grossières, ne dit pas autre chose. Certes, cette fois, le mouvement est recomposé par les soins de machines le reproduisant. Chacune est une extension, une prothèse construite pour donner de l’ampleur et du sens au mouvement, au simple fait de se mouvoir. Elles sont produites selon des schémas simples, des dispositifs mimant la photographie, son processus. Même aussi apparemment rudimentaires, elles ont nécessité un soin de construction évident. Des images sur pellicule transparente sont fixées à une sorte d’hélice, activée par un moteur. Celle-ci fait passer les images, alternativement, devant une lampe DEL qui achève de la projeter, à travers un objectif carré de quelque 20 cm, sur le mur. Un micro de contact capte le bruit du mouvement alternatif, si bien que cette mobilité se fait aussi sonore. Ces machines sont au nombre de trois et toutes fonctionnent sur le même mode, si ce n’est que les images et leur nombre sont différents et le mouvement de rotation peut aussi être autre.

Dans cette mobilité recréée par la machine, c’est le mouvement reproduit, conditionné par ces appareils oeuvrants, qui cherche à rencontrer celui du corps. À la première question qui était de savoir en quoi ce qui émane de moi, en ces mouvements, en vient à correctement me représenter, s’en ajoute une autre qui est de savoir si le mouvement de la machine même peut rencontrer le mien et faire danse commune avec lui. Ou s’il le trahit, en fait un pur et simple pantomime. Car le mouvement est effet normal du corps, expression première, parfois accidentelle, dont on ne sait pas toujours ce qu’il peut bien montrer de soi.

Sylvain Campeau collabore à de nombreuses revues canadiennes et européennes. Il est aussi l’auteur des essais Chambre obscure : photographie et installation, Chantiers de l’image et Imago Lexis de même que de cinq recueils de poésie. En tant que commissaire, il a également à son actif une trentaine d’expositions.

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