Claude Goulet, Les Rencontres internationales de la photographie en Gaspésie – Mona Hakim

[Automne 2017]

Claude Goulet est directeur et fondateur des Rencontres internationales de la photographie en Gaspésie. Cet évènement d’envergure, qui en est à sa 8e édition, est devenu une destination incontournable avec ses installations photographiques en extérieur réparties sur plus de 14 municipalités et ses différents volets thématiques et pédagogiques. Les liens étroits et productifs qui se créent entre artistes, professionnels et le public, incluant l’apport de partenariats nationaux et internationaux, contribuent de manière novatrice et significative à l’identité territoriale gaspésienne.

Une entrevue par Mona Hakim

MH : Quel a été votre parcours professionnel avant de fonder Les rencontres internationales de la photographie en Gaspésie ? Qu’est-ce qui vous a mené à réaliser un évènement d’ampleur en photographie et de surcroît en Gaspésie ?

CG : J’ai oeuvré pendant plus de vingt ans dans les arts vivants et j’ai toujours conservé un grand intérêt pour la photographie et le cinéma d’auteur. Ma présence au festival d’Avignon pendant plusieurs années m’a permis de faire quelques sorties aux Rencontres d’Arles durant le festival et de côtoyer différentes pratiques, différents auteurs et professionnels du milieu.

Dès mon arrivée en Gaspésie, j’ai eu cette folle envie de créer une manifestation originale consacrée à la photographie et à l’art contemporain qui se distinguerait de tous les autres évènements au Québec et qui mettrait en lien toute une région avec sa population. En août 2007, je relance Jean-Daniel Berclaz, dont j’avais vu le travail à Arles en 2003, autour de son projet « Musée du point de vue ».

L’objectif était de réaliser une action photographique en Gaspésie en conviant cinq artistes (dont Berclaz) en résidence en 2008. En juin 2009, un parcours constitué de dix installations photographiques situées dans chacun des lieux où les paysages ont été captés est présenté au grand public. Ce circuit, nous l’appellerons désormais le Parcours du point de vue – Gaspésie. Sa réussite confirme l’idée de renouveler ce rendez-vous annuel. C’est dans cette foulée que la première édition des Rencontres internationales de la photographie en Gaspésie a vu le jour en août 2010. Nous en sommes à la 8e édition.

MH : Par rapport aux objectifs initiaux, quelles sont les grandes orientations qui se sont développées et qui participent aujourd’hui à la reconnaissance de l’évènement ?

CG : Au départ, nos visées furent donc de nous inscrire dans une véritable logique du développement du territoire et de dépasser le cadre traditionnel d’une manifestation en art contemporain. Avec les Rencontres, nous souhaitions concevoir « un coffre à outils » au service des artistes et développer un espace qui se module aux contacts des artistes, des professionnels et bien entendu du public afin qu’ils prennent tous ensemble le beau risque de la création. En vue de faire connaître la photographie et la recherche sur l’image – son langage, ses codes et ses diverses esthétiques –, nous avons conçu aujourd’hui un dispositif qui se déploie sur plus de 800 kilomètres, en 22 lieux et 14 villes hôtes, incluant les quatre parcs nationaux depuis 2016. Le développement des publics (artistes en résidence, projet d’éducation) et le réseautage (au Québec et à l’étranger) sont dorénavant au coeur de nos actions.

MH : Comment arrivez-vous à fédérer le public gaspésien de même qu’à attirer celui des grands centres urbains malgré l’éloignement de la région ? Cela, je présume, doit faire partie de l’un des principaux défis à relever, incluant la logistique technique qu’exigent les installations sur une grande partie du territoire gaspésien.

CG : Nos intentions étaient clairement énoncées, soit rejoindre et fidéliser des publics qui habituellement sont très éloignés des arts visuels. Nous sommes à même de le constater après l’édition de 2016 (7e édition), au cours de laquelle nous avons rejoint 110 426 visiteurs qui ont visité en moyenne trois expositions. Nous parlons donc de 331 278 visites d’expositions ! L’art dans l’espace public hors urbain peut nous permettre de faire avancer l’action culturelle à une vitesse des plus extraordinaires.

Chaque édition est bien sûr un défi dans la mise en place des dispositifs d’expositions sur l’ensemble d’un si grand territoire. Mais cela crée du coup un contact qui est très riche et stimulant entre les artistes, les collaborateurs et les publics qui font ainsi preuve d’une grande inventivité. L’évènement évolue et prend différentes formes.

Des activités de médiation sont également organisées tout au long de l’année, que ce soit dans le cadre des résidences d’artistes (de 4 à 6), d’un projet de création in situ ou des activités en milieu scolaire dédiées à l’éducation à l’image. La présence en Gaspésie de tous les artistes invités lors de la Tournée de photographes est un moment particulièrement rassembleur et permet des échanges conviviaux et extrêmement fructueux entre les artistes eux-mêmes, les professionnels et le public.

Par ailleurs, en nous associant à des collaborateurs, des évènements, des centres d’artistes et des organismes tant nationaux que régionaux, nous abordons différentes réflexions sur la diffusion et sur les enjeux de la création contemporaine. À titre d’exemple, la table-animation sur le livre photographique soulève entre autres la question du développement de nouveaux publics et la diffusion de ce mode d’expression artistique. Nous consacrons désormais chaque année un volet dédié au livre photo. À la fin de l’exposition, tous les livres sont offerts à la bibliothèque municipale de la Ville de Carleton, dans le but de constituer une collection et de développer un intérêt en région pour le livre photo. Des tables-rondes portant sur les enjeux entourant la discipline sont également organisées à chaque édition. Tous ces éléments réunis ont une résonance auprès d’un public, averti ou non initié, qui année après année se déplace en Gaspésie.

MH : Les partenariats semblent donc un élément très important dans la mission des Rencontres.

CG : Absolument. Mes actions antérieures et ma vision font en sorte que je me déclare « réseauiste » ! C’est-à-dire que j’ai la profonde conviction qu’en travaillant en réseau avec différents partenaires, tant nationaux qu’internationaux, nous élargissons notre territoire d’intervention. À ce titre, nous collaborons depuis le début avec des centres d’artistes comme Vaste et Vague et, tout récemment, avec VU à Québec et l’agence Topo (laboratoire d’écritures et de créations numériques pour les espaces Web à Montréal). Il en va de même avec des évènements comme Diaphane pôle photographique en Picardie, en France (accueil, résidences d’artistes, coédition), et le CO de Berlin, en Allemagne (projets de diffusion). Nous travaillons également à développer des partenariats avec des galeries, des institutions et des mai sons d’édition. Nous avons ainsi créé les Éditions Escuminac dans le but d’accompagner les artistes dans leurs projets de diffusion au Québec comme à l’étranger.

MH : Comment vous situez-vous par rapport aux autres joueurs dans le domaine de la photographie, petits ou grands, qui ont leur propre manifestation ? Je pense entre autres au Mois de la Photo à Montréal, ou La Biennale de l’image doit-on dire désormais.

CG : D’entrée de jeu, les Rencontres ont voulu se positionner comme une référence et un rendez-vous annuel incontournable en arts visuels. Il est vrai qu’au cours des dernières années, plusieurs évènements en lien avec la photographie ont vu le jour particulièrement en région. D’autres manifestations ont décidé d’utiliser des intitulés beaucoup plus larges. À mes yeux, il n’y a pas de petites ou de grandes manifestations, chacune a sa place. Chaque manifestation maintient ou développe sa mission selon ses objectifs précis de diffusion et de création et ses relations établies avec les artistes et les publics. Plus nous offrons des vitrines de qualité aux arts visuels et des conditions adéquates aux artistes, plus nous aurons d’impact sur l’avancement de la discipline et le public, et ce, tant en région que dans les grands centres urbains. Le danger à court et à moyen terme est de travailler de façon isolée et de tomber dans le piège d’exiger l’exclusivité d’un artiste.

MH : Chacune des éditions des Rencontres est conçue selon un thème spécifique. Comment procédez-vous à leurs choix et à ceux des artistes, qui sont principalement sous votre entière responsabilité ?

CG : Les premières éditions ont été conçues en synergie avec Jean-François Bérubé, Catherine Arsenault et moi-même. Depuis 2015, je suis seul et nous collaborons selon les éditions avec des commissaires invités pour différents volets liés à l’évènement.

Pour le choix du thème principal, il s’agit d’un processus relativement complexe, jumelé à la volonté de promouvoir des écritures et des artistes. Une fois lancée l’invitation aux artistes, s’enclenche un véritable travail de création afin de maximiser la diffusion des oeuvres et de proposer pour chaque exposition une expérience unique au public. Les échanges avec les artistes et les collaborateurs, la présence à des manifestations ici comme à l’étranger, la visite d’ateliers d’artistes et d’espaces propices à la réflexion sont des sources d’inspiration. En regroupant tous ces facteurs et ces influences se dessine rapidement le thème de la prochaine édition, voire même des 9e et 10e éditions.

MH : L’évènement entame en 2017 sa 8e année d’existence. On dit que la 7e année est une période charnière et propice aux bilans. Quel constat faites-vous du chemin parcouru et quels sont vos aspirations, défis, pour l’avenir des Rencontres internationales de la photographie ?

CG : Effectivement, déjà sept éditions derrière nous… ceci commande réflexion et bilan sur les bons et les mauvais coups. La 8e édition est donc propice à tout mettre sur la table afin de mieux se projeter vers la 10e édition en 2019 et vers le plus long terme. D’abord, nous souhaitons sortir du cadre strictement évènementiel et favoriser des collaborations à l’année sur le territoire et hors territoire. Plusieurs chantiers sont entrepris à cet effet. Il faut par ailleurs bonifier nos espaces d’exposition et nos installations techniques afin d’offrir aux artistes des conditions de création et de diffusion originales et optimales ; concevoir des pavillons mobiles qui viendront pallier le manque de lieux intérieurs pour y présenter des tirages originaux, vidéos, etc. ; créer et favoriser de nouvelles collaborations en art numérique ; contribuer à une meilleure écologie du livre photographique québécois d’auteur, au Québec et sur la scène internationale. Enfin, nous avons ce devoir de continuité et d’expérimentation de nouvelles façons de faire avec la complicité des artistes de manière à aller toujours plus loin.

MH : Pour conclure, je suis tentée de vous demander si vous vous sentez interpellé par cette tendance plus ou moins récente qui consiste à relayer le terme photographie par d’autres appellations, notamment dans l’intitulé de grandes manifestations ou organismes dédiés à la photographie (plus clairement au Québec, me semble-t-il) ?

CG : Effectivement on sent cette tendance actuellement. J’imagine que ces manifestations ont pris ce virage ou cet intitulé de façon éclairée, en regard d’objectifs précis en matière de diffusion et de création. En ce qui a trait aux Rencontres, le terme photographie est là pour demeurer.

Mona Hakim est historienne de l’art, critique et commissaire indépendante. Elle a enseigné l’histoire de l’art et l’histoire de la photographie au collégial de 1996 à 2015. Ses recherches actuelles portent sur les enjeux liés à la photographie contemporaine. Sa plus récente exposition, en co-commissariat, trace un portrait de la photographie québécoise des quinze dernières années.

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