Esthétiques du politique

[Hiver 2020]

Par Jacques Doyon

Le dossier de ce numéro propose un regard sur l’action collective dans nos sociétés. Sur fond de conflits sociaux et de guerres, les œuvres évoquent l’impact de nos agissements collectifs sur le bien commun en auscultant la masse d’images médiatiques qui tissent notre rapport au monde. Le réexamen et la recontextualisation de ces images déjà existantes permettent ici d’aborder différents enjeux liés à la conscience collective, aux communautés d’appartenance et à leurs zones d’exclusion, au gaspillage et à la destruction des richesses, et à l’importance de la culture et à la préservation de ses plus hautes réalisations.

Deux œuvres récentes de Dominique Blain s’attachent à ces questions de façon magistrale. Monuments II, nouvelle version d’une pièce phare de l’ar tiste, montre à par tir d’images d’archives la sauvegarde des œuvres d’art dans un Paris en guerre. Dans la série de vidéos Dérives, on voit par ailleurs un collage mural de simples photos de vagues qu’un souffle soulève pour révéler de frêles embarcations remplies de migrants. La question se pose alors : que vaut une vie humaine, que vaut une œuvre d’art dans cette ère de mondialisation, d’inégale distribution des richesses et de polarisation des valeurs ?

Chez Alain Paiement, des marées humaines, foules manifestantes ou en liesse, provenant de milliers d’images recueillies sur Internet sont réunies en deux tableaux. L’un, en noir et blanc, met l’accent sur la multitude et l’individu perdu dans la grisaille de la masse comme une infime particule. L’autre, en couleur, est une fête, un grand rassemblement de citoyens prenant la rue, investissant la cité, tentant de se doter d’une destinée commune. Les visages humains sont découpés, décontextualisés, puis recomposés en de nouveaux visages hybrides, dans une masse humaine virtuellement sans fin, à l’échelle du globe.

Gisele Amantea travaille ici à partir d’une unique image, une photo de reportage montrant les ruines d’un luxueux hôtel d’Alep, en Syrie. Elle transpose cette image, à une échelle monumentale, sur le tapis d’une galerie d’art invitant les visiteurs à déambuler sur ces ruines sans pouvoir saisir exactement ce dont ils sont les témoins. Une mezzanine permet ensuite de voir l’entièreté de l’image et d’ainsi prendre conscience de l’ampleur de la désolation. En observant d’en haut les nouveaux visiteurs qui parcourent la salle, on ne peut éviter de s’imaginer soi-même vivre au sein d’un tel environnement anéanti.

Mélissa Pilon réunit également des images de foules, en noir et blanc, de toutes provenances et couvrant tout le siècle. Ces images présentent des masses compactes de gens, sans données sur les contextes ou les motivations. Foules contre foules, en face à face au sein des pages d’un livre, en un simple dialogue d’images, elles livrent une sorte de typologie de l’état de foule dans la modernité. Que disent ces agglutinements informes et ces géométries comportementales de l’action humaine dans nos sociétés ? Que révèlent-ils des limites de la conscience individuelle et des motivations collectives ?

 

Acheter ce numéro