États mouvants et conflictuels

[Hiver 2000-2001]

par Jacques Doyon

L’identité est une notion précaire, en constante redéfinition, à la croisée de multiples dimensions d’appartenance et d’identification. L’identité est une définition de soi, devant et par le regard des autres. Elle est toujours affaire de positionnements et de négociations. La part, en elle, qui peut sembler relever du donné, ou de l’origine, est en fait toujours objet d’interprétations et de points de vue contradictoires.

Ce numéro présente trois cas de figure de travaux photographiques traitant des questions identitaires. Fort différents les uns des autres, ils ont pourtant en commun de se situer au carrefour de l’individualité et de la sociabilité, de rendre compte de la multiplicité des composantes qui façonnent l’identité et d’évoquer sa nature fluctuante et contractuelle.

L’Éducation sentimentale, d’Ève K. Tremblay, explore la dimension narrative de l’identité, avec ses jeux de rôles et ses interrogations des modèles et des référents culturels. L’univers clos d’un collège privé féminin y sert de cadre à des mises en scène très composées, tout en demeurant chargées des émois de la maturation et des premiers troubles de la séduction. Dans ces images, se croisent les références à Flaubert, à la délicatesse des sentiments et des questions morales d’un Éric Rohmer et à certaines représentations picturales et religieuses de la Vierge. Elles sont de touchantes évocations de moments où les questions d’identité se posent dans toute leur urgence et leur amplitude.

Après ses séries de portraits des familles aristocratiques italiennes, Patrick Faigenbaum s’est intéressé à des gens plus ordinaires captés en quelque sorte sur la place publique, dans le contexte de leur localité, de leur ville. Il y a eu un village de Sardaigne, Prague, Barcelone, Paris et, ici, Brême. Cette série photographique se situerait au croisement des traditions d’un Sander, d’un Atget et d’un Cartier-Bresson. Les gens y sont perçus dans leur aspect générique, mais aussi dans leur individualité. Les lieux, dans leur spécificité comme dans leur standardisation, s’offrent comme scène et paramètres des interactions avec les autres. Le flux des rencontres et des interactions, ou celui des solitudes, définit la sociabilité et le tissu concret de ce qui fait les différents degrés d’appartenance ou de non-appartenance. Pas de définition donc, simplement une accumulation de fragments qui, par leur qualité de lumière et de composition, ainsi que par le contraste et la mise à distance supplémentaire qu’apporte le mélange des photographies noir et blanc et couleur, incitent à considérer un peu plus attentivement chacune de ces multiples réalités qui définissent la sociabilité humaine. Arrêts temporaires dans un portrait mouvant.

Longing and not belonging, de Rosalie Favell, permute les souvenirs, les objets de désir, les modèles et les lieux d’identification dans des tryptiques où s’esquissent des fragments d’identité en équilibre précaire. Femme, métisse d’ascendance autochtone et européenne, de culture urbaine et lesbienne, Rosalie Favell met en scène une identité au confluent de plusieurs sources, prise entre le désir d’appartenance et sa presque impossibilité. Plantes et fleurs, lieux, portraits de famille et autoportraits, images stéréotypées de l’amérindien et icônes féminines de la télévision ou du cinéma traduisent cette multiplicité des registres d’identification, parfois difficilement compatibles entre eux.

Quelques nouvelles, en terminant. Le comité éditorial de la revue est heureux d’accueillir en son sein André Clément, artiste et professeur à l’UQAM, et Martha Langford, chercheure et conservatrice indépendante, fondatrice et ex-directrice du Musée canadien de la photographie contemporaine. Par ailleurs, vous l’aurez remarqué, le magazine se métamorphose progressivement. C’est à suivre !