Guy Blackburn, Touche – Christine Gauthier

[Été 2006]

Centre Sagamie, Alma
8 décembre 2005 au 29 juin 2006

Première exposition dans la nouvelle salle du Centre Sagamie, Touche de Guy Blackburn a inauguré les lieux à l’automne 2005. Une résidence bien intense de trois mois, avec présence technique constante en atelier et salle d’exposition disponible pour expérimentations assidues. Le projet initial était de jouer sur l’intégration de l’image numérique à l’installation. Marier les spécialités du Centre Sagamie et celles de Guy Blackburn. Mais au fil des événements et des manipulations, c’est l’installation bidimensionnelle qui s’est greffée à l’image numérique. L’image devient installative.

Trois protagonistes s’imposent avec respect et surtout démesure dans la salle : une langue, des couvre-chaussures, des pinces.

Tout d’abord, la grande langue. Ici, ses excès s’inscrivent dans une ambivalence entre ce qu’elle est et ce que le regardeur croit ou veut voir. Nous doutons… Le muscle lingual a plutôt l’air d’un muscle phallique qui se fait fort. Longue, bien rose, la papille moite, presque écorchée, la grande langue pénètre l’espace. Triturée, déchirée, chirurgicalement lacérée au scalpel, elle désacralise l’impression numérique. La tromperie va jusqu’au point où nous croyons à une épaisseur bien tangible. Basculement de la bi- à la tridimensionnalité, basculement du phallique au politique. Des expérimentations débordent. Retenue par des pinces, la langue laisse s’échapper de petites étoiles. Iconographie militaire et tactique. Tentatives de brûlis sur le papier, sur le mur. Symboliquement, la langue s’associe à la flamme, au feu qui détruit ou qui purifie. La langue comme façon peut-être plus dense, plus obscène de toucher les gens. La salive, fluide corporel et langoureux, comme méthode de toucher sensuel ; la salive comme véhicule du verbe.

Une pièce au mur capte particulièrement mon attention. Une série de couvre-chaussures ancrés au mur. Les pieds, qui habituellement touchent le sol, ne le fouleront plus. Noirs, militaires, la langue parfois percée en motif d’étoile, les couvre-chaussures constituent une protection mais s’affichent vides. Protection caoutchoutée contre les liquides, contre certains solides, contre le danger aussi, les claques se tiennent à la verticale. L’ensemble soulève des questions politiques. L’apparence est quasi militaire. Les claques s’alignent comme des soldats. L’étoile est-elle communiste ? Les ombres éthérées des langues façonnées des couvre-chaussures se présentent comme des silhouettes de personnages au mur. Rescapées ou en pleine détresse, elles déploient des tentatives d’immatérialité.

À ne pas vouloir toucher à quelqu’un même avec un bâton, on utilise des pinces ; des pinces tellement grandes que l’objet pincé s’éloigne. Ici, l’image installative s’applique à introduire le regardeur dans l’image. S’il se place au bon endroit, il peut métaphoriquement tenir les pinces, les faire s’interpénétrer, les faire se toucher. À côté de ces forceps de géant, des icônes en tête d’épingle. Minuscules souliers, délicats bijoux. Ces fragments ténus touchent eux aussi. Pointes d’épingles, il y a danger. C’est peut-être là où se trouve la solution. En couronne d’épingles, peut-on questionner le sacré ?

Tout près, un autel, des pastiches d’hosties imprimés. On montre et on sort la langue une fois de plus. Étymologiquement parlant, l’hostie, c’est la victime offerte. Communion entre l’artiste et le regardeur, geste d’humilité, de dérision, ou bien est-ce l’illustration d’un individu à la langue bien pendue, qui veut parler, critiquer ? A-t-il quelque chose sur le bout de la langue ? La langue ne fait pas que toucher, elle peut aussi nommer, parler.

Une chose me turlupine encore. J’entends un son d’eau subtil, presque imperceptible. Est-ce le chauffage qui bruisse un doux bruit de ruissellement, est-ce voulu, cela fait-il partie de l’expo ? Je m’interroge, cherche du regard et ne trouve rien. Ce sont en fait des bruits de langue, c’est une chanson humide réfléchie et engendrée par Alain-Martin Richard. Chanson et langue d’Alain pour teinter le travail de Guy. Sons mous, suintants, transparents. Discrets, presque inaudibles.

Parallèlement à ce travail en salle, Guy Blackburn et le Centre Sagamie sont allés toucher les citoyens d’Alma, en intervenant à l’extérieur. Revisitant son travail passé, Blackburn a réalisé sept images où il porte des chapeaux symboliques. Ces sept images géantes ont été présentées au centre-ville d’Alma. Un dépliant poétique a également été réalisé et a fait l’objet d’une infiltration dans les cafés avoisinants. Projets réalisés au Chili, en Allemagne ou chez nous, les images touchent et interpellent le passant. Ces univers mentaux pointent du doigt l’appartenance de chacun à une universalité volatile. Porter le chapeau, c’est assumer une responsabilité. Le chapeau, facteur d’identification.

Nous devons signaler ici que ce projet a fait l’objet d’un travail de commissariat par Guy Sioui Durand. Son rôle en fut un de questionneur. Intervenu plusieurs fois, presque leurré par les constantes constructions et déconstructions de Guy Blackburn, il devait interroger le processus de travail. Complicité entre Guy et Guy, la réflexion bicéphale entre commissaire et artiste s’est développée pendant trois mois et se poursuit encore.

Ambiance quelque peu clinique, présences organiques, myriades de symboles à assimiler; la poésie s’assemble en clins d’œil multiples. Les lacets comme autant de vers blancs qui émergent d’une boîte. Les papilles gustatives comme bijoux d’humidité. Les chaussettes blanches et silencieuses, bas de soutien des tablettes de verre et pieds de bas du mobilier. Les chaussures blanches et vides comme tant de gens absents. Des vêtements immaculés, d’autres lacets. Lacer, c’est maintenir des parties ensemble. Les lacets tissent des liens, des nœuds, un réseau. Un réseau de sens, de symboles, des corsets sémiotiques ou poétiques.

Touche, ce sont des références constantes au corps, entier ou en fragments. On touche avec les pieds et les mains mais on ne voit jamais ceux-ci. Le toucher se fait par tous les sens et dans tous les sens. Toucher, c’est être ému. C’est l’autre réceptif. C’est atteindre, sentir, heurter, remuer, parvenir. C’est le contact physique. Le contact émotionnel et psychologique. C’est faire impression. Toucher du doigt et de la langue, toucher à sa fin, toucher le fond… des choses.

Christine Gauthier vit et travaille au Saguenay. Détentrice d’une maîtrise en art de l’uqac, elle est coordonnatrice du centre d’artistes Le Lobe depuis deux ans.