Ce dont témoigne l’image

De l’Alberta à l’Azerbaïdjan, de Resolute Bay à Mumbai, en passant par Oran, Johannesburg, Chittagong, Shanghai et Tucson, ce numéro déroule les images d’un monde industrieux et prospère qui comporte sa large part de dysfonctionnements et d’aberrations. Partout, la composante documentaire de l’image opère pour témoigner de certaines facettes de notre monde, en les interprétant et en les incarnant dans des stratégies esthétiques nettement différenciées. Oil, d’Edward Burtynsky, condense plus de 10 ans d’une cueillette systématique d’images rendant compte des différentes phases de la transformation, du transport et de la consommation du pétrole, ce fluide noir qui alimente la constante expansion de notre monde. Avec ses images d’installations industrielles d’une impressionnante beauté – qui ne dépareraient pas le rapport annuel de ces compagnies – opposées à d’autres images qui montrent crûment les effets délétères de leur exploitation, l’ensemble constitue une réactualisation fort pertinente d’un sublime esthétique ancré dans les réalités d’aujourd’hui. Ainsi focalisée sur la matrice énergétique de nos sociétés, l’oeuvre de Burtynsky s’énonce comme une allégorie de l’entropie et du chaos qui nous guettent.

Issue du milieu des agences de presse, Tendance Floue renouvelle la pratique du photoreportage avec une démarche collective fondée sur la multiplicité des regards et des esthétiques autour d’un même objet. Pour un court séjour de trois semaines, onze photographes et deux journalistes se rendent ainsi à Mumbai pour esquisser, par le biais de portraits individuels et d’aperçus sur les modes de vie, une représentation subjective et éclatée d’une société en pleine transformation. Explorant également de façon inventive les formats de l’édition, de l’exposition et de la projection publique, Tendance Floue constitue un véritable laboratoire de recherche et de diffusion pour la photographie.

Resolute Bay – Voyage du jour dans la nuit, de Jacky Georges Lafargue et Louis Couturier, porte sur une zone aveugle de notre société : celle des conditions de vie des Inuits, au nord du nord de nos villes. Fondé sur des témoignages des habitants de Resolute Bay, un village inventé de toutes pièces en raison d’un déplacement forcé des populations, et sur une séance de projection en plein air des images de la communauté, le projet se manifeste sous différentes formes et évolue au gré de ses présentations successives. La version montréalaise, centrée sur un traîneau recouvert d’images des maisons du village, métaphorise les conditions héritées de ce déracinement. Une oeuvre fondée sur la rencontre et l’affirmation par l’image d’une présence et d’une identité.

Deux articles de la section Focus s’inscrivent aussi à leur manière dans la thématique de ce numéro en apportant un éclairage sur l’influence que peut avoir le contexte socio-politique sur le développement de productions artistiques tentant de mieux faire voir certaines réalités de notre monde. Le dernier été de la raison de Nadia Seboussi interroge, avec une quasi absence de photographies, le rôle et l’éthique de l’image de presse dans le contexte de la « décennie noire » algérienne des années 1990. De son côté, Érika Nimis nous introduit à l’émergence et à la multiplication des pratiques artistiques photographiques en Afrique du Sud, durant et après l’apartheid.

Jacques Doyon

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