Larry Clark, C|O Berlin – Eloi Desjardins

[Hiver 2013]

Larry Clark
C|O Berlin, Berlin
Du 25 mai au 12 août 2012

Larry Clark présentait l’été dernier, au C|O Berlin, l’une des plus importantes expositions bilan de sa carrière. En effet, plus de 200 œuvres y étaient réunies. Le photographe, considéré comme l’un des plus influents aux États-Unis d’Amérique, s’est surtout fait connaître auprès du grand public par ses films dont Kids (1995), très controversé lors de sa sortie en salle, mais acclamé par plusieurs critiques du septième art. Il fut, entre autres, en nomination pour la Palme d’or du Festival de Cannes.

Déjà, dans son travail photographique de début de carrière qui précède celui de cinéaste, on retrouve ses sujets de prédilection qui lui ont valu la notoriété. Ainsi les corpus Tulsa (1971) et Teenage Lust (1983) nous plongent dans l’univers d’adolescents dans des contextes dedébauche où sexualité et drogues fortes se conjuguent. Présentées au rez-de-chaussée du C|O Berlin, ces deux séries, uniquement faites de clichés en noir et blanc, démontrent le talent de Clark pour composer des scènes qui furent souvent catégorisées comme radicalement réalistes. Les moments documentés par ces photographies désarçonnent par leur caractère extrêmement intime. On peut y sentir le photographe loin du voyeurisme, mais très près de ses sujets ; on pourrait même croire qu’il prend part aux actes de transgression montrés. Ce traitement de l’image se retrouve aussi dans les films de fiction qu’il réalisera par la suite. Ceux-ci, étrangement, prennent souvent des allures de documentaire.

Kids fut à maintes reprises récupéré pour souligner l’aspect dysfonctionnel de la société américaine. L’authenticité du photographe/cinéaste semble avoir été perçue comme un affront au puritanisme anglo-saxon ainsi qu’un déni des responsabilités sociales que la morale puritaine exige de ses adeptes. De plus, on retient du travail de Clark une certaine remise en question de la notion bourgeoise de la morale. Toutefois, la carrière de l’artiste ne se résume pas uniquement à l’épisode de Kids. L’exposition du C|O Berlin l’a bien souligné. Au deuxième étage, le noyau de l’accrochage s’élaborait avec la série The Perfect Childhood (1989-1992). Dans ces œuvres, qui se veulent un essai photographique, Clark poursuit son exploration de l’ignominie. Toutefois, ce n’est pas ici le cliché photographique qui est utilisé, mais le collage. Dans ceux-ci, l’artiste accumule coupures de tabloïd, affiches de magazines pour adolescentes et images trouvées. S’ajoutent à ce corpus des extraits d’émissions de télévision douteux de type Day Time Tv. L’atmosphère de déviance tordue demeure, Clark y fait étalage d’une panoplie de faits divers. Y reviennent souvent les histoires de meurtres commis par des adolescents sur les maris de leurs maîtresses d’âge mûr.

La question du passage du médium photographique au médium cinématographique pour traiter de sujets connexes s’avère incontournable pour comprendre et apprécier la carrière de Clark. À titre d’exemple, Los Angeles (2003-2006), le plus récent travail du photographeaussi inclus dans l’exposition berlinoise, est une chronique photographique se déroulant sur une période de quatre ans, qui documente le quotidien de Jonathan Velasquez, cet adolescent délinquant de la Cité des anges qui fut aussi l’inspiration du film Wassup Rockers (2005). Réunir les premières images de Clark avec ses dernières permettait au visiteur de saisir l’évolution de son travail tout en en soulignant la constance.

Comme le soulignent André Habib et Viva Paci dans leur texte du catalogue du Mois de la photo à Montréal 2009, il existe plusieurs exemples de « “déterritorialisations” » muséales de la photographie et du cinéma »1. La force de l’accrochage au C|O Berlin résultait du fait que ses salles d’exposition n’offraient pas « ces cimaises à “l’exposition” d’images animées »2. Même sans salle de projection dans l’exposition, le dialogue entre les images et les films de Clark était pourtant omniprésent. Ceux qui ont vu ses longs métrages se retrouvaient donc en terre connue. Ce constat témoigne de la force du propos et du travail de l’artiste.

1 André Habib, Viva Paci, « Exposer, entre photographie et cinéma », Le Mois de la photo à Montréal, 2009 : Les espace de l’image (sous la dir. de Gaëlle Morel), p. 190.2 Ibid. p. 191.

Journaliste culturel, critique d’art et commissaire indépendant, Eloi Desjardins est titulaire d’une maîtrise de production en études des arts de l’Université du Québec à Montréal. Depuis 2004, il couvre les arts visuels et médiatiques de Montréal par le biais d’Un Show de Mot’Arts, une émission de radio et un webzine.

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