[Printemps 2010]
par Jacques Doyon
Ce numéro aborde la représentation des conflits et des guerres. Qu’il s’agisse de combats lointains ou d’attentats et d’émeutes se déroulant au cœur de nos villes, l’information véhiculée sur leurs enjeux demeure souvent dominée par une forme de spectacularisation et des partis pris. Les œuvres ici réunies abordent des situations qui dorénavant font fréquemment la manchette : attentats à la bombe, opérations militaires en Afghanistan, interventions antiémeutes dans le cadre de conflits sociaux. Elles le font en s’attachant tout d’abord à rendre palpable la part construite et fictionnelle de l’image et à modifier nos perceptions en multipliant les points de vue, en témoignant de visions opposées, en rendant compte du vécu de la guerre et en prenant acte du passé.
Dans Eleven Blowups, Sophie Ristelhueber recrée, à l’aide d’éléments de ses propres photographies, des images de cratères de bombes provenant des médias. Vraies et fausses tout à la fois, ces images montrent les traces de la destruction en essayant de rendre non la spécificité d’une histoire et d’un lieu, mais plutôt l’expérience d’un effondrement, l’effet dévastateur d’un trou béant qui s’ouvre devant soi. « L’idée d’une terre chargée d’histoire qui s’avale est un concept qui m’inspire », dit Ristelhueber. La présentation initiale de ces images à Arles, dans l’ancienne résidence du Gouverneur de la Banque de France, dit aussi que cet abîme est aussi le nôtre.
R for Real et Bagdads d’Emanuel Licha s’attachent également à démêler les fils du fictionnel et du réel, mais en évoquant ici une fiction pleinement opératoire qui prend la forme de décors urbains servant à l’entraînement des militaires et des policiers. Jouant d’ambiguïtés, ces œuvres viennent souligner le rôle de la fiction dans la réalité des conflits et dans la constitution de nos représentations de l’étranger. La figure d’un « touriste du désastre », présente dans R for Real, vient ajouter un éclairage supplémentaire sur la dimension fantasmatique et trouble de nos perceptions.
L’exposition War at a Distance, qui était présentée à la galerie TPW à Toronto, se penche par ailleurs sur les représentations médiatiques de la guerre dans le contexte de la présence canadienne en Afghanistan. Juxtaposant œuvres artistiques, reportages, documentaires, dramatiques radio, vidéos personnelles et autres documents diffusés sur les plateformes des médias sociaux, cet événement vise à décloisonner les discours et à élargir les perceptions du conflit afghan afin de stimuler le débat public. Cela était mis en pratique dans le cadre d’un colloque portant sur « les pratiques documentaires, la culture visuelle et le débat public en relation aux conflits militaires ».
À ces enjeux liés à la perception des conflits et au débat public, Abbott & Cordova, 7 August, 1971, première œuvre d’art public de Stan Douglas, vient ajouter une voix complémentaire. Placée à l’entrée d’un immeuble commercial au cœur de Gastown, un quartier historique de Vancouver longtemps laissé à l’abandon, l’œuvre s’inscrit dans le contexte d’un plan de revitalisation fondé sur la mixité des fonctions et des populations. Douglas choisit de rappeler une émeute de 1971 qui avait vu s’affronter les forces de l’ordre et les jeunes du quartier; une façon de problématiser les enjeux du redéveloppement en rappelant la nécessité d’une intégration de tous les habitants du quartier.