Centre Dazibao
du 11 janvier au 10 mars 2018
Par Sylvain Campeau
L’exposition présentée au Centre Dazibao comportait un ensemble de pièces vidéographiques dont la majorité s’intéressait à l’aéroport international de Gander, situé à quatre heures de route de St. John’s, à Terre-Neuve. S’ajoutait à cette œuvre centrale déployée sur plusieurs écrans une autre projection dans un espace plus restreint, portant sur les studios d’artistes de Fogo Island Arts sur l’île de Fogo à l’ouest de la côte terre-neuvienne.
Lieu de transit beaucoup plus que d’entrée au Canada, l’aéroport de Gander reflète, par sa facture, les traits d’architecture et de design des années 1950. Il campe ainsi sa fonction qui est de donner, à des gens qui ne verront rien de plus du pays, une idée construite de ce que peut bien être le Canada.
Ces lieux que l’artiste a choisis ont cette caractéristique commune d’être des sites insulaires, ce qui nous est rendu perceptible par leur caractère de relative inhabitation.
Pour Gander, cela s’explique aisément. L’aérogare a été construite dans les années 1950. Le tout avait été pensé pour montrer une image moderne du Canada, avec du mobilier des designers connus qu’étaient Ray et Charles Eames ou Robin Bush, une murale commandée au peintre canadien Kenneth Lochhead et un plancher de terrazzo au carrelage s’apparentant à du Mondrian. Lieu de transit et de ravitaillement pour les vols transcontinentaux de l’époque, le lieu a perdu son utilité avec le temps, victime du développement technologique de l’aéronautique. Il n’est désormais utilisé que par les forces armées américaines et quelques dignitaires bénéficiant de vols privés.
L’ensemble sur Gander se compose d’un diptyque et d’un triptyque. Le premier est au mur et les deux écrans s’alignent l’un à côté de l’autre. Les écrans du triptyque, plus grands, sont, quant à eux, suspendus dans les airs et entourés d’un cadre de bois. La surface qui reçoit la projection est translucide, ce qui fait que l’image peut être perçue des deux côtés. Le diptyque nous accueille dès notre entrée dans la galerie. Il faut alors avancer quelque peu pour parvenir à voir le premier écran suspendu, légèrement de biais. Celui-ci nous relance vers un autre et il en va ainsi d’une sorte de réseau en relais. Arrivé dans la seconde salle, après avoir contourné le mur qui soutient le diptyque, on prend connaissance de l’autre œuvre, Island/Lyle (2016), réalisée sur l’île de Fogo.
Le diptyque forme une sorte d’introduction que l’autre écran, suspendu, de biais, vient enrichir. Ce premier état des lieux montre des plans au lent travelling qui permettent de détailler le site. Le regard se promène sur les sièges alignés aux couleurs un peu passées. On scrute aussi des logos, collés par endroits, qui affichent, on imagine, l’identité, et parfois la devise, d’escadrons ou de groupes militaires ou aéronautiques. Cet examen ne se fait pas sans des reprises et des incrustations d’images. Mais l’artiste n’en fait pas un usage exagéré. Quant aux trois autres écrans, il n’est pas évident de trouver un usage ou une facture d’images pour chacun. Il y a bien le premier où l’on voit revenir le nom de l’aéroport sur le mur près d’une horloge. Cela permet de former un cadre temporel aux projections, d’introduire aussi le sujet, comme il se doit. Le deuxième écran s’attarde un peu plus à l’œuvre picturale de Kenneth Lochhead qui occupe une cloison du quai d’embarquement. Il la détaille avec lenteur. Dans le troisième comme dans le second écran, des plans généraux nous permettent d’avoir une vue globale des éléments que l’on scrutera tantôt de près. On comprend mieux dès lors la disposition des éléments. Welcoming Birds, une sculpture d’Arthur Price, n’échappe pas à l’analyse. Bref, on a là une sorte d’observation fluide et méthodique, mais qui ne se déploie pas sans une dose d’intuition. Certes, il a fallu faire alterner plans généraux et plans rapprochés et j’ai noté qu’on ne se retrouve jamais avec les trois écrans en mode de grossissement sur des fragments, ce qui ferait buter notre expérience visuelle sur un mur obtus. Un dosage fin a été respecté et la manière de procéder de Myriam Yates nous mène à croire en des choix de prises allant de soi, en une direction qui s’incline devant la nature du site observé, sans paraître n’intervenir en rien. On sait bien que cela ne peut pas être ainsi. Il y a une certaine dose de désolation, cependant, dans ces images, comme si on auscultait des lieux sans plus de raison d’être, abandonnés par le temps, suspendus dans l’espace.
On retrouve une même manière de mener les images dans Island/Lyle. Le site ici décliné est une île accueillant un centre de résidences de création pour artistes. Le déroulement narratif est encadré pour notre arrivée et notre départ en bateau, question de bien montrer que nous sommes sur une île. C’est moins une sorte de doux spleen qui émane des images qu’une certaine impression d’isolement.
Compensée, il est vrai, par les images d’un garçon se promenant dans ces lieux et nous offrant une séquence assez martiale de shadow-boxing façon Ninja…
Sylvain Campeau collabore à de nombreuses revues canadiennes et européennes. Il est aussi l’auteur des essais Chambre obscure : photographie et installation, Chantiers de l’image et Imago Lexis de même que de cinq recueils de poésie. En tant que commissaire, il a également à son actif une trentaine d’expositions.