La série Cutting Sunsets est composée de collages de petit format dans lesquels sont représentées des scènes de la vie quotidienne se déroulant autour d’habitations cossues de la côte ouest américaine. Quelques personnages, çà et là, travaillent tranquillement sur leur terrain, l’entretiennent, le contemplent, y circulent et y discutent. Comme le suggère le titre de la série, Allison Tweedie a feuilleté les pages des éditions des années 1960 et 1970 du Sunset Magazine. Ce périodique fut initialement publié dès la fin du XIXe siècle dans le but d’attirer la population dans l’Ouest américain en s’inscrivant en faux contre les stéréotypes associés à l’Ouest sauvage. C’est dans les sections du magazine consacrées à l’habitation ou à l’aménagement paysager que l’artiste a sélectionné et découpé des photographies pour ensuite composer ses collages en noir et blanc.
Au premier coup d’œil, la quiétude paraît régner dans les œuvres de la série, qui sembleraient alors poursuivre la mission d’idéalisation du mode de vie à l’américaine du magazine. Si ces arrière-cours baignées de soleil invitent au loisir et au repos, quelques éléments dissonants viennent toutefois troubler la tranquillité de ces lieux de vie. Parfois, sous forme de plages découpées, la végétation semble envahir subtilement l’habitat. La verdure rebelle, qui est censée être domestiquée, cultivée, contrôlée, déborde des clôtures et cerne la figure humaine dans son propre jardin. Des fragments de feuillage sont insérés dans les percées géométriques de l’architecture ; ces ouvertures deviennent des prétextes aux discontinuités du collage. Ainsi, une fenêtre donnant sur l’intérieur renvoie curieusement sur une vue de l’extérieur. L’artiste interchange donc les lieux en inversant les fonctions des espaces de l’habitat humain. ici, le jardin remplace le salon et, là, le plafond devient feuillage, et les différences s’estompent, comme si la cour s’étendait sous le toit de la maison.
Les collages de Cutting Sunsets font aussi parfois voir des répétitions. Ces juxtapositions d’un même fragment d’image amènent le regard à faire un aller-retour dans l’œuvre afin de comparer les similitudes d’un élément à l’autre. Une même portion de bosquet, une même branche d’arbre ou encore un même personnage grimpant les marches d’un escalier se côtoient dans certains collages de la série. Ces dédoublements pourraient rappeler la paramnésie, cette impression de déjà-vu, cette mystérieuse sensation de se souvenir d’avoir déjà vécu un bref moment qui est revécu au présent. Par ailleurs, d’autres œuvres de la série sont formées d’une seule répétition retournée, l’inversion de l’image invitant encore une fois le regard aux allers-retours. Ces compositions inversées déroutent la perception et se font exemplaires de la cohabitation poétique de la familiarité et de l’étrangeté qui est à l’œuvre dans tous les collages de cette série de Tweedie.
Renversement d’une pelouse au gazon bien ras, l’œuvre Dust est, quant à elle, constituée non pas d’une simple réitération, mais bien de deux images d’un même lieu au centre duquel repose un gicleur différent. Ce qui survient le plus souvent dans les détails des œuvres de Cutting Sunsets apparaît en force dans celle-ci, la familiarité de l’habitat occidental troublée par l’étrangeté des détournements de Tweedie. Puisant dans l’imagerie populaire des magazines et exploitant le goût du rétro, ces compositions qui résultent de répétitions, d’inversions et de renversements déroutent notre perception et peuvent provoquer une impression onirique de déjà-vu, ou de « déjà rêvé ».
Allison Tweedie vit et travaille à Vancouver en Colombie-Britannique. Elle a participé à plusieurs expositions collectives : When Someone Strange is Calling You Home, au centre d’artistes Artspeak (2013), Cut and Paste, à l’Equinox Gallery (2012), et Reoccurrence: Serial Motifs, à la Helen Pitt Gallery (2010). En 2014, sa série Cutting Sunsets a été présentée par Equinox Gallery. Parallèlement à sa pratique artistique, elle fait actuellement une maîtrise en paysagisme à la University of British Columbia.
Après des études collégiales en photographie et un baccalauréat en histoire de l’art, Gentiane La France a poursuivi une réflexion sur la photographie dans le cadre d’une maîtrise en études des arts à l’Université du Québec à Montréal. Ses recherches portent notamment sur la mémoire et l’identité dans la photographie contemporaine. L’auteure, qui habite à Québec, collabore régulièrement à l’émission de radio L’Aérospatial CKRL 89,1 en tant que chroniqueuse en arts visuels. Elle collabore également au blogue Pratiques photographiques de VU PHOTO et à Ciel variable.