[Été 2022]
Par Jacques Doyon
Les peuples autochtones ont été parqués dans des réserves, coupés de leurs territoires ancestraux, soumis à l’assimilation forcée dans les écoles et ils ont vu leur statut nié en tant que Métis ou résident urbain. On leur a interdit d’afficher les signes de leurs cultures, ils ont été longtemps condamnés à l’invisibilité. Mais la situation change. Des voix fortes et fières s’affirment sur la scène publique et elles sont de plus en plus reconnues. Trois artistes de différentes générations se sont ainsi distingués en faisant de la photographie le véhicule central de leur démarche. Ensemble, ils proposent une vision renouvelée de l’identité des Premiers Peuples, qui puise dans la tradition tout en étant pleinement en phase avec la réalité contemporaine, et ce, sur tout le territoire.
Ainsi, plusieurs œuvres de Dana Claxton, réunies ici sous le titre de Portraits et régalia, offrent un tel renouvellement de la figure autochtone, dans des mises en scène où le costume et les accessoires jouent un rôle prépondérant. The Mustang Suite, Headdress, Lasso et NDN Ironworkers se déclinent comme une série de portraits, tous faits en studio, avec des poses qui prennent souvent une dimension performative (une partie importante du travail de Claxton) et des arrangements d’objets, de maquillages et d’habillements souvent étonnants, parfois cocasses. De la famille contemporaine aux vaillants constructeurs de gratte-ciel, en passant par des versions composites du masque totémique traditionnel et des jeux de lasso de « l’Indien » devenu cowboy, on se retrouve face à un déploiement joyeux et confiant des multiples identités de l’autochtone contemporain.
Jeff Thomas, quant à lui, s’est d’abord intéressé à la représentation de « l’Indien » dans la culture dominante : des images d’Edward Curtis aux monuments dans les villes, en passant par les archives. Et il a cherché en vain à ses débuts des voix photographiques exprimant une vision autochtone du monde. Avec la série Indians on Tour amorcée en 2000, il entreprend de mettre à profit tous ses déplacements pour affirmer une telle présence sur le territoire. Avec des figurines de « l’Indien » en costumes traditionnels placées au premier plan de l’image, Thomas vient hanter tous les lieux colonisés par la culture moderne et marquer la préséance autochtone. Cette reconquête symbolique trouve son expression peut-être la plus forte devant des lieux, pourtant muets, qui ont été marquants pour l’histoire des Premières Nations et dont les notes de voyage de Thomas viennent rappeler toute l’importance.
Avec le projet As Immense as the Sky, Meryl McMaster propose la réappropriation d’un territoire, non pas urbain comme chez Jeff Thomas, mais naturel, celui de la primordiale île de la Tortue. Sa démarche repose sur un réinvestissement, à la fois symbolique et rituel, performatif et sculptural, de certains fondements de la culture autochtone dont elle livre une transmutation dans des images mystérieuses et troublantes. L’œil non averti peut ne pas déceler toute la richesse et les nuances des emprunts et références aux traditions et régalias, mais, malgré cela, McMaster nous emporte dans un monde où les forces matérielles occupent une place centrale et où toutes choses sont porteuses de signes. De la terre jusqu’au ciel, de la brindille au souffle du vent, chaque élément contribue à une cosmogonie réactivée par une vision contemporaine et idiosyncrasique du monde où l’être, autochtone, est en osmose avec le monde.
[ Numéro complet, en version papier et numérique, disponible ici : Ciel variable 120 – FIGURES D’AFFIRMATION ]
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