Sarka Vancurova, Street Portraits of Young Couples – Gabrielle Sarthou

[23 août 2023]

Par Gabrielle Sarthou

Projet de la photographe et « journaliste visuelle » Sarka Vancurova, la série Street Portraits of Young Couples a été amorcée en 2020 à Montréal lors de la pandémie et du confinement plus strict lié au couvre-feu qui l’a suivi. Les photographies argentiques présentent des couples d’adolescents et de jeunes adultes à la recherche d’une connexion physique et sociale, alors que l’isolement général est exigé. Mue par le désir urgent et ardent de se retrouver, cette jeunesse amoureuse nous fait face, sur des bancs publics, dans des parcs et dans les rues, plongeant son regard dans le nôtre.

Attirée par la vulnérabilité et l’unicité qui se dégageaient de ces duos, Vancurova a décidé de les immortaliser à travers son objectif. Les poses naturelles, prises de manière autonome par les couples, apportent aux clichés une expression d’amour brute, simple et vraie. Capturant un instant, une partie d’histoire, la photographe fige dans le temps ce souvenir d’amour pandémique. Un arrêt sur l’image, qui vient compléter cette idée de feu Milan Kundera (1929–2023) : « La mémoire ne filme pas, la mémoire photographie » (L’immortalité). Les regards frontaux évoquent la rencontre spontanée ; ils donnent l’impression que c’est le regardant qui interrompt un moment qui ne lui appartient point. Le regard est renversé : c’est nous qui marchons, c’est à nous qu’on demande de révéler une partie de notre complexité.

Établie à Montréal depuis 2020, Sarka Vancurova est une photographe documentaire et une artiste humaniste d’origine tchèque. Ses reportages portent sur des personnes engagées dans des luttes contre l’injustice sociale ou mettent en lumière celles qui vivent en marge de la société dans différentes parties du monde. Elle a vécu et travaillé dans de nombreux pays européens, dont le Royaume-Uni, la Belgique, l’Espagne et les Pays-Bas. Elle se qualifie de « visual journalist », une manière de dire qu’elle aborde les arts selon une approche journalistique et qu’elle documente ce qu’elle voit avec des images.

Après les premiers portraits de Montréal, Vancurova a continué, lors de ses voyages-reportages, ce projet porté par l’instinct et par l’émotion. Dans Street Portraits of Young Couples, on retrouve des jeunes de Paris et de Mexico. Comprendre que les images proviennent de différents milieux permet d’amorcer une réflexion sur les facettes de l’amour à travers les cultures, les langues et les coutumes. Chaque couple apporte sa propre histoire et sa dynamique, enrichissant l’ensemble du projet. Les rues et les parcs de chacune des villes visitées deviennent le théâtre de récits uniques. En regardant tous ces duos, il est possible de s’imaginer leur vécu, de se tisser une idée à partir de ce qu’ils dégagent. Pourtant, leur histoire reste voilée.

Le portrait est une manière de se rapprocher des gens. Entre le candide et le spontané, Street Portraits of Young Couples reflète la curiosité de l’artiste, sa tendance à aller vers l’autre, mais surtout la complicité entre deux personnes. C’est une série qui parle de l’humain et de ses relations, qui nous demande « qu’est-ce qui nous unit ? » et « qu’est-ce qui nous sépare ? ». C’est une série qui réfléchit au lien social mis à mal par la pandémie. L’artiste a choisi ses modèles de manière impulsive, s’arrêtant lorsqu’elle remarquait quelque chose de surprenant, de photogénique, d’admirable, d’atypique, un je-ne-sais-quoi qui donne envie de stopper sa course. Elle ne cherchait pas nécessairement ; elle trouvait.

Le choix du noir et blanc est intéressant. Comme pour Peter Lindbergh qui affirme que « le noir et blanc a toujours été lié à la vérité profonde de l’image, à sa signification la plus cachée », pour Vancurova, la « réalité est plus réelle » en noir et blanc. Elle ne voulait pas mettre l’accent sur les vêtements aux couleurs vives, mais plutôt sur les expressions faciales et le langage corporel. On note dans cette série beaucoup d’expressions de tendresse incarnée, de protection : les doigts entrelacés, une main sur les épaules, les hanches ou le ventre.

La série n’est pas encore finie. Toujours en cours, elle continuera à s’enrichir lors des prochains voyages de l’artiste. Ces portraits de jeunes couples servent de témoignages visuels de l’espoir et de la résilience humaine face aux défis et aux épreuves de la vie. Plus qu’un simple ensemble de photographies, ce projet est un reflet de l’humanité dans toute sa splendeur. Dans tout son amour.

Diplômée de la St. Joost School of Art & Design, établissement de Breda, aux Pays-Bas, Sarka Vancurova est une photographe documentaire et une photojournaliste pigiste basée à Montréal. Ses préoccupations sociales l’ont portée à se pencher autant sur le sort de réfugiés syriens au Liban que sur des familles afghanes du Québec. Elle a collaboré avec différents organes d’information, dont le média en ligne Pieuvre et le quotidien La Presse, qui ont publié ses reportages faits au Mexique. www.sarkavancurova.net

Gabrielle Sarthou (elle/iel) étudie à la maîtrise en histoire de l’art à l’UQAM et enseigne au cégep. Ses recherches, axées sur les études de genre, portent sur l’historiographie et la théorie des couleurs. Commissaire et critique d’art, Sarthou aime faire le pont entre l’art et les mots ; ses écrits se retrouvent dans plusieurs revues culturelles, telles que Ciel variable, ESPACE art actuel et Vie des arts.