[29 novembre 2023]
Par Louis Perreault
La couverture du livre Dundee, de Hua Jin, révèle d’entrée de jeu le caractère équivoque de ce qu’il renferme. Une simple définition fictive du titre, estampée dans la toile de couleur crème, ouvre la lecture sur une note poétique : « Un endroit qui pourrait être en Écosse, ou ici, ou ailleurs. L’image qu’on se fait du lieu d’où l’on vient et de celui où on s’installe ». Ainsi, le village du Haut-Saint-Laurent, nommé Dundee par ses premiers habitants – originaires d’une municipalité du même nom en Écosse –, est un prétexte pour réfléchir au désir de perpétuité qui se manifeste lorsque les mouvements migratoires forcent la délocalisation des cultures.
Par conséquent, même si le titre de l’ouvrage semble indiquer qu’on y trouvera un travail localisé et déterminé, l’artiste fait le choix de ne pas nommer, ni dans un texte ni dans une liste d’œuvres, les lieux qui sont représentés. On reconnaîtra probablement le paysage québécois et on soupçonnera que la grande étendue d’eau et de glace qui ouvre et ferme la série est celle du fleuve Saint-Laurent, mais, malgré ces repères visuels qui nous paraissent familiers, une impression d’être dans une sorte d’espace indéfini qui pourrait être « ou ici, ou ailleurs » persiste. Ce sentiment est renforcé par l’insertion quasi aléatoire d’images montrant les collines verdoyantes et parfois brumeuses du territoire écossais, qui apparaissent ici et là, tels des souvenirs de lieux autrefois visités.
Ponctuant aussi la séquence, des objets d’archives photographiés sur un fond blanc en studio complexifient la lecture, en ajoutant à ces déplacements géographiques une dimension temporelle. Quels sont ces livres anciens et usés, portant des inscriptions manuscrites à peine lisibles ? Qui sont ces femmes sur le négatif retenu par une pince à papier ? À qui appartiennent tous ces artéfacts d’un autre temps ? Le livre demeure discret à leur sujet et il faudra user de notre imagination afin de créer un récit reliant ces points épars et dispersés.
Étant donné que ce travail repose, après tout, sur une quête aux fondements documentaires, la présence de quelques indices textuels aurait-elle pu rendre la lecture plus engageante ? Parce qu’on souhaitera inévitablement connaître le Dundee québécois et son semblable écossais – notre curiosité est piquée au vif –, on n’aura d’autre choix que de sortir du livre pour y trouver les détails manquants à la compréhension de l’œuvre.
Or, ce qui peut apparaître opaque se révèle aussi être le caractère séduisant du livre : en se gardant de tout nous révéler, il provoque un effet de dépaysement qui évoque le déracinement de la personne migrante. Dans le paysage nouveau d’un lieu d’accueil, cette dernière n’essaie-t-elle pas de déchiffrer les indices d’un monde qu’elle ne connaît pas, tentant de donner sens à l’ensemble en y infusant ses propres repères ? Elle-même issue de l’immigration, Hua Jin semble avoir trouvé dans l’exemple de Dundee un écho à son propre récit de vie. Ce lieu et son histoire témoignent de l’importance indéniable de l’hybridation culturelle engendrée par les vagues migratoires dans la fondation des villes et villages que nous habitons.
Finalement, on s’approprie Dundee comme on embrasse un paysage en hiver : on en ressent l’espace au travers du vent froid qui nous souffle au visage. De la même manière, on éprouve, dans ce livre, la charge du temps dans l’observation attentive des fondations de pierres photographiées en Écosse, le papier jauni et fripé d’une note d’archives ou l’immédiateté d’un rosier en fleur. L’instinct et l’intuition nous portent, comme si ces objets et ces lieux nous avaient appartenu à un moment ou un autre de notre passé. À cet égard, il devient difficile de reprocher à l’artiste de ne pas nous en dire assez : nous sommes tous et toutes parties prenantes des grands mouvements et déplacements qui ont marqué et marqueront encore l’histoire.
Louis Perreault vit et travaille à Montréal. Il déploie sa pratique à l’intérieur de ses projets photographiques personnels ainsi que dans les projets d’édition auxquels il collabore grâce aux Éditions du Renard, qu’il a fondées en 2012. Il enseigne la photographie au Cégep André-Laurendeau et contribue régulièrement au magazine Ciel variable, pour lequel il recense la parution de livres photographiques.