[Printemps 2003]
par Jacques Doyon
Il s’agit ici de rendre manifestes les contraintes intrinsèques aux outils de la vision, d’inscrire à même l’image les traces des prothèses, des cadrages et des postures inhérentes à l’acte photographique, et de substituer à l’adhésion référentielle une exploration des conditions de l’image.
Les photographies de Jean-Philippe Lemay présentent des vues de sites urbains filtrées par des procédés anciens. Il fabrique lui-même des camera obscura aux surfaces courbes, dotées parfois de deux ouvertures ou de miroirs, et utilise des techniques de sensibilisation et d’impression à faible définition. Certains de ses panoramas semblent dévoiler la courbure de la surface terrestre ; d’autres font se télescoper les lignes de rencontre et d’intersection ; d’autres, enfin, font s’enrouler le monde autour d’un point de vue central.
Parages conjugue les préoccupations photographiques, architecturales, picturales et cartographiques d’Alain Paiement dans une monumentale représentation spatiotemporelle du bâtiment qu’il habite. Les images successivement disposées dans l’espace font littéralement basculer le bâtiment sur le côté. Lieux et scènes de vie, vus en surplomb, deviennent tableaux. Les espaces, balayés par des prises de vue en plongée, se voient recréés dans des assemblages qui débordent les limites de la captation photographique et renouvellent la représentation spatiale à la jonction des enjeux du panoramique, de la perspective, du plan architectural et de la cartographie.
Le Journal panoscopique de Luc Courchesne, de son côté, est un journal de voyage en images, relié à une recherche sur la re-création de la vision panoramique dans un appareil d’immersion individuelle. La série photographique explore les conventions du panoramique, les déformations spatiales inhérentes à une lentille télescopique de 360º (proche et lointain, bas et haut, vide et plein, lumières et espaces contrastés) et le jeu d’apparition et de camouflage du photographe autour du trou noir créé en plein cœur de l’image par la lentille.
Toutes ces œuvres travaillent les conditions mêmes de toute photographie (cadrage et temps d’exposition, point de fuite et profondeur de champ, rendu de l’image…), en s’inscrivant dans des traditions dont elles renouvellent les limites. Elles le font notamment en y réinscrivant les traces manifestes de leurs outils et les marques d’une temporalité relevant du processus même de construction des images. Par-delà l’immédiateté de leur représentation, ces œuvres explorent, chacune à leur façon, les enjeux d’une représentation contemporaine de l’espace et du temps par le biais de la photographie. Elles outrepassent les usages de la photographie et en complexifient la lecture pour en dégager certaines des avenues possibles.
Un important supplément, sous forme d’affiche, s’ajoute à ce numéro. Il nous permet de vous présenter les toutes récentes œuvres d’Alain Paiement, réalisées dans le cadre de Tangente, une série d’expositions d’artistes contemporains internationaux invités à produire de nouvelles œuvres en relation avec la collection de photographies du Centre canadien d’architecture. Cette série d’expositions est réalisée sous le commissariat de Hubertus von Amelunxen, conservateur invité de la collection de photographies. Nous remercions Hubertus von Amelunxen et le Centre canadien d’architecture pour leur collaboration à la publication de ce supplément. Les œuvres créées par Alain Paiement pour cette occasion, Fractal Palace et Tangente notamment, poursuivent ses avenues de recherche de façon systématique. Elles y ajoutent un travail, autour de la nouvelle façade du Palais des congrès de Montréal, sur la transparence, le morcellement des images en modules géométriques et leur intrication dans des couches superposées, et énoncent, à même la collection de photographies du CCA, de possibles filiations historiques avec les problèmes de la représentation qui le préoccupent. Autre preuve de l’ampleur et de la cohérence de la recherche de cet artiste montréalais.
Nous tenons à souligner, en terminant, l’arrivée récente au comité de rédaction de la revue de Cheryl Simon, critique, enseignante et artiste, bien connue pour ses recherches sur la photographie et le film.