[Printemps 1996]
par Robert Legendre
Regardez sans détour les photographies de Ruth Kaplan, dépassez ce voyeurisme d’à première vue imbibé d’a priori curieux. Pénétrez, plutôt, dans ces œuvres qui relatent un univers de quiétude et de paix, où le temps est ralenti, empreint d’une tendre sensualité.
Libre des contraintes d’un discours suranné et parfois discriminant sur le corps et sa représentation, Ruth Caplan interroge ce corps d’un regard tendre mêlé d’un érotisme feutré, voire involontaire, évitant d’emblée les pièges de l’objectivité, du déjà dit, et passant outre aux canons de l’esthétique populaire de cette fin de siècle.
Ruth Kaplan a commencé en 1989 son Bathing Work, interpellée qu’elle était par cette atmosphère particulière, cette intimité qui règne dans les douches des gymnases et dans les piscines publiques. Au début, ses sujets étaient des amis-es du YMCA. Développant son concept, elle s’intéresse par la suite aux assidus de ces lieux et aussi aux gens fréquentant ces temples du New Age que sont les spas et les camps de nudisme de la côte Ouest de l’Amérique du Nord.
Foin de l’approche CIA : tout ce travail est réalisé ouvertement, avec le consentement total des intéressés. Photographier dans des lieux publics l’intimité de gestes quotidiens de soins corporels suppose une complicité de tout moment entre les êtres, l’appareil photographique servant à relater sans agression, sans violence.
La maîtrise d’un langage photographique raffiné permet à Kaplan de nous offrir des œuvres où la maturité du regard enveloppe précieusement l’intimité des êtres et des lieux. Elle n’observe pas, elle participe et nous intègre à ces cérémonies où l’on regrette parfois le temps passé — le temps perdu —, espérant tout de même une jouvence impossible.
Il se dégage de tout cela une vision que certains qualifieront d’humaniste, de romantique même. Force est de constater que, dans un tel travail, c’est d’abord avec les œuvres que nous sommes confrontés : le discours, ici, leur est inféodé. Ce sont des images qui se détaillent, se dégustent, et qu’on prend plaisir à prendre dans nos mains.
Montréalaise d’origine, Ruth Kaplan vit maintenant à Toronto. Elle a obtenu plusieurs bourses et reçu de nombreux prix, et on retrouve ses œuvres dans plusieurs collections. Le portfolio que nous vous présentons est particulier.