[Automne 1992]
Par TAFOS – Los talleres de fotografia social
La photographie est un art d’origine occidentale créé à la mesure des sociétés modernes et industrialisées. Si l’on se rapporte aux écrits de Susan Sontag, la société capitaliste se base sur une culture d’images et la production de ces mêmes images engendre une idéologie dominante.
Le changement social est remplacé par le changement dans les images.
Est-il possible de concevoir la photographie comme un instrument adéquat pour des sociétés non modernes? Est-il possible que la modification des images contribue au changement social? Voilà les questions auxquelles tentent actuellement de répondre les Talleres de Fotografia Social péruviens.
Des paysans, des mineurs et des pobladores urbano-marginales1, choisis par diverses organisations populaires, forment ces ateliers dans différentes régions du pays. Sans laisser de côté leurs activités quotidiennes, ces gens s’appliquent à produire des images de leur monde. Cela leur procure un net avantage sur les autres photographes. D’une part, les personnes photographiées dans les divers groupes acceptent sans problèmes la présence de l’appareil photographique. D’autre part, la possibilité que la photographie soit réalisée selon leur propre modèle culturel transforme ainsi les secteurs populaires documentés du statut d’objet à celui de sujet.
Grâce à ce matériel photographique, les Talleres et les organisations populaires réalisent diverses activités de communication dans le but de discuter de leurs problèmes et de chercher des solutions. Les photographies sont diffusées aussi bien dans leur propre communauté qu’à l’extérieur.
Le travail des Talleres de Fotografia Social exprime la préoccupation des secteurs populaires péruviens à comprendre et à chercher une solution au chaos profond dans lequel vit cette société. Entre leurs mains, que ce soit par la dénonciation ou l’affirmation, l’appareil photographique devient un outil d’émancipation.
Malgré la croissance des mass-médias, ces dernières années, le Pérou demeure – en comparaison du Nord industrialisé – un désert d’images. Compte tenu de l’inexistence d’un marché intégré et de l’incapacité de l’État centralisateur à offrir des services aux populations éloignées, les villes et les régions de l’intérieur du pays vivent dans un profond isolement. Le succès du travail des Talleres de Fotografia Social auprès des secteurs populaires s’explique par la nécessité de ces derniers à articuler une image qui leur soit propre, à trouver des réponses au questionnement de leur identité et, par le fait même, à briser leur isolement pour devenir les acteurs d’un monde qui, dans le meilleur des cas, les considère comme « victimes » ou « bénéficiaires ».
L’isolement renforce encore la brèche culturelle profonde ayant toujours existé entre la minorité blanche gouvernante et la majorité indienne, noire et métisse du pays. Le langage photographique brise les barrières raciales, linguistiques et culturelles, lesquelles, au Pérou, ont toujours servi de prétexte à l’oppression. Soudainement, les « pauvres », les « retardés » et les « non-civilisés » nous interpellent par la richesse et la vitalité d’une culture construite sur la précarité, mais aussi sur la tradition. La photographie réussit à dépasser ces obstacles, car il s’agit d’un langage qui, avant de s’adresser à l’intellect et à la raison, passe par le cœur et les sentiments.
Le texte a été produit par le groupe TAFOS. Eva Quintas en a effectué la traduction. On peut entrer en contact avec ce groupe à l’adresse suivante : TAFOS, Carlos Arrieta 953, Santa Beatriz, Lima, Perû, Apartado 11-0054.
1 Les pobladores urbano-marginales du Pérou sont originaires de la campagne et deviennent des colons qui, refoulés par les grandes cités du pays, s’approprient le désert pour y bâtir leur propre ville.
Fondés en 1986 par Thomas Muller, les TAFOS, acronyme de Talleres de Fotografia Social (Ateliers de photographie sociale) permettent aux individus des milieux populaires péruviens de documenter le monde auquel ils appartiennent.
Après six ans de fonctionnement, leurs archives de plus de 70,000 négatifs illustrent la lutte pour l’identité et la survie des plus importants secteurs sociaux du pays.