[Automne 1991]
par Benoît Munger
Fouillez dans vos souvenirs d’enfance ou alors parlez-nous de votre vie familiale au quotidien, disait en substance l’invitation lancée le printemps dernier en vue de réaliser ce dix-septième numéro de CIEL VARIABLE consacré à la famille.
Nous nous attendions à recevoir des photos et des textes puisant dans les souvenirs, bien sûr, mais surtout beaucoup de matériel sur la vie de famille en cette fin de millénaire. Or, curieusement, les souvenirs l’ont nettement emporté, comme s’il était nécessaire d’avoir un certain recul pour parler à coeur ouvert de la famille, cette cellule sociale qui a traversé toutes les époques, pliant sous les assauts de l’extérieur, s’adaptant tant bien que mal, mais ne se rompant jamais. Nous n’avons rien contre les souvenirs, bien au contraire, surtout quand ils sont bien racontés, comme c’est le cas dans ce numéro, que ce soit à travers les photos ou dans les textes. Seulement, que l’on montre peu d’intérêt à parler de la famille contemporaine, de ses hauts et de ses bas, nous a un peu étonnés. Après tout, la vie un peu folle de la famille québécoise moderne, prise en sandwich entre un marché du travail envahissant et l’indifférence d’une société toute à sa croissance, est certainement de nature à alimenter l’inspiration. A n’en pas douter, la vie de famille a changé de façon radicale au cours des trente dernières années ; la place de la famille dans la société aussi. L’on peut cependant se demander si les modes de vie contemporains ont vraiment été intégrés. Le nez collé à la vitre, nous semblons incapables de porter un regard critique sur la famille d’aujourd’hui dans toute sa diversité. Cédant à une certaine nostalgie, nous faisons comme si la famille était une affaire du passé, un souvenir de plus à ranger dans un racoin de notre mémoire.
Sans le vouloir, nous faisons ainsi le jeu des forces sociales fonctionnant encore sur le modèle monolithique de la famille traditionnelle où la femme s’occupe de la maisonnée tandis que l’homme est sur le marché du travail. Parce que cela fait leur affaire. Tarder à reconnaître que la famille a évolué et que ses besoins ont changé, ça permet de remettre à plus tard les réformes qui s’imposent pour que la vie familiale prenne la place qui lui revient ; ça donne à l’État l’occasion de se traîner les pieds et de s’en tirer à bon compte en réduisant sa politique familiale à une question de sous. Et pendant que les projecteurs sont braqués sur les allocations à la naissance, l’Etat enlève aux bénéficiaires d’aide sociale l’aide financière leur permettant d’envoyer leurs enfants à la garderie.
Bousculée par trente années de changements sociaux, la famille a été tassée dans un coin. Dans la tourmente, elle a survécu. Résistera-t-elle aussi bien à l’indifférence ?