[Automne 1990]
par Yves Bellavance
CIE DE THÉATRE cherche personne pour les relations publiques. Très bonne maîtrise de l’anglais et du français, connaissance du théâtre, du marketing, du graphisme, de la psychologie. Admissible aux Travaux communautaires. Info HUM-HUM!
Un chausson aux pommes avec ça?
Précaire. Précaire. Précaire, précaire, précaire. Et encore précaire. J’ai ce maudit mot-là dans l’fond d’ma noix depuis longtemps. Précaire me dit le dictionnaire (Petit Robert pervers) : du latin precarius « obtenu par prière». Serait-ce que l’on est précaire suite à une faveur obtenue ou bien qu’on ne puisse s’en sortir que par la prière? La réalité est foutrement (ah c’est joli ça foutrement mais ce n’est pas dans le Petit Bob) moins voudou et plus complexe.
De plus en plus de gens connaissent une vie de travail à la fois fragile, mouvementée, en dents de scie, insécure voire angoissante. Jobines, chômage, petits contrats, aide sociale, projets d’emplois, bas salaire, aucune protection, travail à la pige, travail au noir, travail à temps partiel : voilà autant d’expressions pour désigner la précarisation de l’emploi. Déjà présente dans notre société, cette précarisation s’est développée lors des dix dernières années suite à une sorte de crise économique qui a fait beaucoup de dégâts. Car ce fléau n’est pas tombé du ciel.
La restructuration économique, bouée de sauvetage à laquelle s’est accrochée la nécessité de dégager des capitaux pour développer les entreprises (ainsi que le virage technologique qui l’accompagnait), a laissé quelques personnes à la surface de l’eau… et même quelques cadavres sur la plage dorée de la réussite (wow!). De façon moins symbolique, il demeure important de souligner que cette restructuration économique a aggravé la situation de l’emploi. Pour quelques gagnants (les entreprises en expansion), plusieurs perdants. Le taux de chômage stagnant depuis plus de dix ans est là pour le confirmer. Tout comme le nouveau portrait de l’emploi qui nous démontre l’omniprésence du travail à temps partiel, avec son lot d’insécurité et ses bas salaires. Je pourrais mettre la main dans mon sac à chiffres et en ressortir une poignée d’exemples confirmant la dualisation de notre société. Des riches plus riches, des pauvres plus pauvres et les autres, celles et ceux qui se retrouvent de plus en plus coincé-e-s vers le bas. Les jeunes et les femmes, les premières victimes de ce fléau, pourraient en parler très longtemps…
Dans les secteurs culturels et communautaires, la situation n’était pas déjà très drôle avant. On a la tradition précaire! Alors imaginez aujourd’hui! La pige est tellement de mise que l’on a maintenant perfectionné l’axiome suivant : « De toute façon, moi j’aime ça être à contrat. Je garde ma liberté, moi madame! » Pige ou piège?
Ces deux secteurs sont d’ailleurs les presque seuls utilisateurs des programmes d’emplois du fédéral (PDE, article 25) et du provincial (Travaux communautaires, Extra, PAIE). Des programmes qui renforcent la précarité de l’emploi en créant de faux emplois à très court terme, mal payés, mais qui permettent aux différents groupes de survivre dans leur projet social ou communautaire. Une cruelle contradiction… Théâtres, revues et autres groupes culturels utilisent en masse les programmes d’emplois. Même le Cirque du Soleil, l’exemple classique de la réussite entrepreneurship / culture / jeunes / marketing!
« La culture, ça rapporte… mais pas aux artisans et artisanes, qui doivent se contenter des croûtes. »
Et pourtant. Il semble bien que la culture, ça rapporte… du moins selon certains chiffres publiés récemment. Mais pas aux artisans et artisanes, qui doivent se se contenter des croûtes. Quant au salaire moyen que l’on retrouve dans le milieu culturel, c’est tellement gênant, honteux, et pire encore! Le seuil de la pauvreté (15 000 $) ressemble à une mine d’or!
Pendant ce temps nos démocrates élu-e-s se pavanent tels M. Jourdain. « Mais oui, je suis l’ami des arts et il me fait plaisir de vous remettre cette somme d’argent qui vous permettra d’engager du personnel afin de réussir ce pourquoi on est si fier du Québec et bla-bla-bla… » pour 3 mois, tout en créant des attentes dans le public, attentes qui ne pourront être comblées par la suite par manque d’employé-e-s. Mais alors, si les retombées politiques et économiques sont bien réelles, qui empoche les profits suscités par les activités culturelles??? Y a-t-il quelqu’un qui se fait fourrer dans la salle?
Peut-être que le communautaire et le culturel auraient avantage à se parler quelquefois…