[Été 2008]
Galerie Occurrence, Montréal
20 octobre – 24 novembre 2007
Avec la série de photographies qu’ils ont présentée à la galerie Occurrence l’automne dernier, Clara Gutsche et David Miller poursuivent les recherches sur l’espace urbain qu’ils mènent depuis le début des années 1970. L’exposition Retour de Rome réunissait des œuvres réalisées en collaboration lors d’un séjour de six mois dans la capitale italienne en 2002, les dévoilant pour la première fois au public. L’ensemble de plus de soixante photographies dresse le portrait de Rome en reprenant les sujets de prédilection des deux artistes. L’architecture et les paysages urbains, saisis par leur regard incisif et pénétrant, révèlent les multiples facettes de la ville. En créant des contrastes entre des scènes d’intérieur qui semblent figées hors du temps et des vues extérieures tout en mouvement et en effervescence, leur travail photographique représente à la fois la Rome historique, dite éternelle, et la Rome contemporaine.
Exploitant savamment l’éclairage et le rendu des textures pour affirmer le caractère antique des bâtiments et des ruines, les photographes utilisent par ailleurs le noir et blanc pour donner à voir Rome comme une ville prisonnière de son passé, suspendue entre Antiquité et Renaissance. Certains clichés montrent des statues et des colonnes empilées dans une cave, des vestiges de thermes et d’étranges jardins qui semblent abandonnés depuis des siècles. La composition des photographies d’architecture met également en valeur la monumentalité des édifices, souvent accentuée par la petitesse des personnages, touristes qui envahissent la ville. De nombreuses photographies montrent les enceintes d’imposants bâtiments religieux qui invitent au recueillement, en référence à l’importance de l’Église dans l’histoire de Rome. Dans ces espaces intérieurs désertés plane une présence humaine, notamment lorsqu’un temps d’exposition assez long enregistre le mouvement sous la forme d’une silhouette floue. Nous pourrions y voir une métaphore du passage du temps, de la présence éphémère des hommes face à la pérennité des monuments. Rome semble effectivement avoir bien peu changé depuis plus d’un siècle, comme le souligne la similitude entre les œuvres de Gutsche et Miller et les photographies de la ville datant de 1870 qu’elles côtoient dans la publication qui accompagne l’exposition [toujours à paraître].
Le travail des photographes se partage entre ces vues qui représentent Rome comme une ville musée et des paysages urbains en couleur, surchargés d’éléments hétérogènes. Ces scènes extérieures mettent l’accent sur la superposition de multiples couches historiques, qui en viennent à créer des dissonances visuelles : des affiches publicitaires, des graffitis, des panneaux de construction, des néons et des voitures se détachent sur fond de ruines. L’utilisation de la couleur rend la ville plus vivante, ici les bâtiments historiques ont davantage l’air de participer du mouvement général qui anime l’image. « The complexity and layering of this city is amazing », déclare Miller dans une des correspondances électroniques que nous livre la publication, à la manière d’un carnet de voyage.
De fait, les photographes représentent la ville non pas en tant que citoyens, comme dans leurs précédents projets enracinés dans la communauté, mais comme des voyageurs qui posent sur Rome un regard extérieur. Les artistes n’en saisissent pas moins certains moments de la vie quotidienne des habitants de la ville. Des gens font leurs emplettes dans un marché extérieur, un couple s’embrasse dans une ruelle, des religieuses se tiennent immobiles à l’intersection de grandes artères devant le flux des automobiles. Les habitudes de vie et l’imaginaire des Romains sont par ailleurs habilement révélés par les vitrines de commerces allant du magasin de tissus au marché alimentaire, de l’animalerie à la boutique de vêtements féminins. Ces mises en scène de produits de consommation s’ajoutent à la collection des paysages vitrés de Gutsche. Ainsi, le monde intérieur des Romains est reflété non seulement par la piété qui habite les intérieurs religieux, mais aussi dans les espaces commerciaux. L’image d’une boutique de chandeliers et de statuettes de saints souligne au passage que la religion n’échappe pas à la marchandisation.
Comme en témoignent les titres en italien qui identifient simplement le lieu et la date des prises de vue, le travail photographique de Clara Gutsche et David Miller s’inscrit dans une tradition documentaire qui s’attache à décrire un lieu à travers son architecture. Leurs œuvres expriment néanmoins une vision subjective qui s’attarde à rendre les diverses ambiances qui imprègnent la ville, de même qu’à évoquer la relation qu’un peuple entretient avec son histoire. Rome, qui à une certaine époque était un passage obligé pour tout artiste désirant asseoir sa carrière et fonder sa renommée, est ici plutôt un nouveau territoire d’exploration pour des artistes déjà bien établis.
Julie-Ann Latulippe poursuit une maîtrise en étude des arts à l’Université du Québec à Montréal. Ses recherches portent sur le rôle de la photographie dans l’écriture de l’histoire et dans la constitution de la mémoire collective.