[Été 1997]
Charleroi, Musée de la Photographie, 1997, 255 pages.
Cette publication a été réalisée à l’occasion de l’exposition Dérision & raison, qui souligne le dixième anniversaire du Musée de la Photographie, Centre d’art contemporain de la Communauté française de Belgique. L’exposition Dérision & raison se tient du 26 avril au 31 août 1997.
Au premier contact de ce livre, le lecteur éprouve immédiatement une sensation de bien-être et de malaise à la fois. Comment un livre d’art peut-il prendre la forme d’un livre religieux ? Il s’agit en fait d’un livre-objet, agréable à tenir entre ses mains — vu sa taille, son épaisseur et sa couverture coussinée —, doré sur tranches et muni d’un signet. Ce livre nous rappelle le Nouveau Testament, la Bible et les missels, auxquels la religion catholique nous a habitués, mais aussi, par sa couleur, le fameux Petit Livre rouge de Mao. Cependant, le titre (imprimé en lettres d’or), Dérision & raison, et la transgression qu’il contient ont tôt fait de nous rassurer et de confirmer la finalité artistique, critique et iconoclastique de cette publication.
La première image du livre donne le ton : il s’agit d’une reproduction de La Nef des Fous, de Jérôme Bosch, suivie d’un portrait de Magritte. Viennent ensuite les images des photographes qui prennent part à l’exposition : Adàl, Pepe Calvo, Jacques Charlier, Farrell & Parkin, Gilbert & George, Colin Gray, Carlos Jurado, Les Krims, Duane Michals, Warren Padula, Pol Piérart, Cindy Sherman, Grete Stern, Herman van den Boom et Andy Warhol. Au fil des deux cent cinquante pages qu’on ne se lasse de tourner et de retourner, on retrouve, en plus des photographies, des citations savoureuses et des textes signés par George Vercheval, Marc Vausort et Manu d’Autreppe. Fin partisan de la folie positive, George Vercheval, directeur du Musée et principal artisan de cette exposition, donne le ton en affirmant : «Dérision et raison révèle le besoin profond, presque physique d’exprimer par la création artistique les contradictions fondamentales d’une société bâtie sur la raison du plus fort, les intérêts trop évidents, les systèmes péremptoires, les mensonges flagrants, les injustices criantes, les raisonnements viciés.» Ce livre, donc, trace de l’exposition, se présente à nous sinon comme un manifeste, du moins comme un cri d’alarme dans cette Belgique inquiète à l’ère de l’euro.
Les fous du roi, le texte remarquable de Marc Vausort, conservateur adjoint au Musée, constitue le document phare de ce vaste projet iconoclastique, véritable plaidoyer en faveur de l’expression artistique, libre et indépendante, symbole d’une révolution permanente. L’auteur nous brosse un large tableau historique : Jérôme Bosch, Goya, Marcel Duchamp, le surréalisme, Tristan Tzara, Dada, le photomonteur John Heartfield, John Cage, Yves Klein, Jean Dubuffet, William Blake, sans oublier les caricatures de Daumier. Vausort se prononce pour l’irrationnel, le poétique, l’imaginaire, l’érotique, la fraternité, la justice sociale, et contre l’usage abusif des termes auxquels nous sommes désormais habitués, comme productivité, rentabilité, rationalisme. Curieusement, à la lecture de ce texte, la dérision devient raison. Ce livre iconoclastique se métamorphose en un manifeste articulé qui résume bien la philosophie du Musée de la photographie à Charleroi tel que l’affirme Vausort : «L’art et les artistes ne peuvent rester ni indifférents ni neutres à l’histoire réelle.»
Procurez-vous cette publication pour l’audace du propos, la qualité du concept objet-livre (une idée originale de Jeanne Vervoort) et la richesse du texte de Marc Vausort.