[Printemps 1997]
AFAA, Club d’investissement média, Interactive Fiction, Paris, 1996.
Qu’en est-il du cédérom Photographie française / Parcours contemporains ? La diffusion de la photographie par des publications électroniques de type cédérom est tellement nouvelle qu’il m’apparaît difficile de répondre à cette question sans d’abord déterminer les critères d’évaluation d’un tel outil. D’une part, nous devons accorder une attention particulière à la convivialité du cédérom, à la qualité de reproduction des photographies, à l’exhaustivité du travail et finalement au type de présentation des images en fonction des objectifs de la publication. D’autre part, nous devons nous questionner sur le public visé et potentiellement rejoint par le cédérom.
La qualité de reproduction des photographies est ici remarquable, l’enchaînement des images agréable et la trame sonore dynamique. Il s’agit essentiellement de «parcours» sur la photographie française contemporaine, scénarisés par des spécialistes reconnus, dont Louis Mesplé, Gabriel Bauret et Christian Caujolle. On y présente le travail de quatre-vingt-dix photographes ; dans chacun des cas, cinq images ont été retenues. Une première remarque s’impose donc ici : on ne peut présenter adéquatement le travail d’un photographe à l’aide de seulement cinq images. Par ailleurs, si l’on prend en considération le nom donné à ce cédérom, Photographie française, on est en droit de s’attendre à ce que la documentation soit exhaustive et à ce que les diverses tendances de la photographie française y soient représentées. Or, on y trouve surtout une photographie passablement traditionnelle : est-ce représentatif de la production française contemporaine ou s’agit-il d’une publication dirigée par des auteurs qui proviennent uniquement du milieu de la photographie documentaire ou d’agence ?
Durant la navigation, il est parfois difficile de sortir des parcours. Trop souvent, on se sent emprisonné dans la galerie, ou coincé dans le livre. Le parcours de Louis Mesplé, qui prend la forme d’un diaporama, demeure cependant simple et efficace ; mais cela n’est pas suffisant pour donner envie de le revoir plus d’une fois au complet. Au lancement du cédérom dans le cadre du dernier Mois de la Photo à Paris, le public présent a quand même grandement apprécié le fait de pouvoir échanger tout en visionnant le contenu de la publication. La projection de ces images sur grand écran est impressionnante.
En fait, ce cédérom ne peut que décevoir et le spécialiste et l’amateur de revues genre coffee table magazine. Le cédérom n’est pas suffisamment exhaustif pour le spécialiste, ni suffisamment efficace et rapide. Il serait préférable que l’on puisse voir des images en utilisant une base de données questionnable à partir de descripteurs : le spécialiste désire regarder et comparer une grande quantité d’images avec rapidité, pour vérifier des hypothèses. De son côté, l’«amateur de photographie» risque de vite perdre tout intérêt. Pourquoi l’homme de la rue serait-il passionné tout à coup par quatre cent cinquante images dont l’ensemble correspond à une définition de la photographie qu’il a du mal à comprendre ? S’agit-il de belles photographies ? L’amateur pourrait par contre s’intéresser à une thématique précise (le paysage à travers l’histoire, les autochtones, une région du monde…) ou à un auteur célèbre ( Man Ray, Cartier-Bresson…).
J’ai pu apprécier déjà quelques cédéroms sur la photographie. J’ai pris connaissance d’un disque de Man Ray (bonnes intentions), de celui qu’a réalisé Pedro Meyer (le mieux réussi, et tellement simple), d’un autre sur la photographie japonaise, d’un autre encore qui porte sur la photographie des années quatre-vingt-dix (à l’américaine), et d’autres aussi moins connus internationalement. On en sort sans cesse de nouveaux, sans compter ceux qui sont en voie de production. L’Angleterre, la Hollande et les États-Unis semblent pour le moment les plus enclins à associer la photographie et le numérique. On peut remarquer aussi un plus grand intérêt pour ces nouveaux médiums chez les anglophones, tout comme c’est le cas pour Internet : Photographie française/Parcours contemporains a donc le mérite d’être une des rares initiatives de ce genre sur le territoire français.
Une remarque, en terminant, sur le financement de ce cédérom. Je tire mon chapeau à l’Asssociation française d’action artistique (AFAA), le principal subventionneur du projet. Les gens de l’AFAA ont compris depuis longtemps l’importance de promouvoir le travail des artistes français chez eux et au-delà de leurs frontières. Voilà un exemple que nous devrions suivre chez nous. L’AFAA a eu la clairvoyance de soutenir une équipe de professionnels dirigée par Louis Mesplé qui, dans le futur, réalisera sûrement avec encore plus de succès d’autres publications électroniques dédiées à la photographie. C’est ce qu’on appelle de la planification à long terme.